12e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Moore Gareth
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

« Pourquoi avoir peur ? »

C'est le soir ; il commence à faire nuit. Les disciples sont sur la mer, dans une petite barque fragile au milieu d'une grande tempête ; la barque a déjà commencé à se remplir d'eau ; elle va bientôt sombrer. Ils sont entourés d'obscurité et du chaos de la mer, ils vont mourir. Et Jésus leur demande pourquoi ils ont peur. Question curieuse. Dans de telles circonstances, qui n'aurait pas peur ? La merveille est le fait que Jésus n'ait pas peur. En fait, le mot grec qu'utilise S Marc ne signifie pas « avoir peur », mais plutôt « être lâche ». Jésus n'est pas contre la peur. Ce serait inutile ; la peur fait partie de notre vie, il y a beaucoup de situations face auxquelles il est normal d'avoir peur. C'est pourquoi le courage est nécessaire dans la vie humaine ; le courage suppose la peur. Jésus même aura peur dans le jardin de Gethsémani. Mais il vaincra sa peur, il se montrera courageux. Ici, les disciples ne se montrent pas courageux, ils sont saisis de panique.

Mais ce récit n'est finalement pas une leçon sur le courage. L'accent est plutôt sur le miracle, mais surtout sur la réaction des disciples au miracle. S'ils sont dans la crainte avant que Jésus n'apaise la tempête, ils y sont après aussi : « Saisis d'une grande crainte, ils se disaient entre eux : 'Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent ?' ». Leur question n'est pas une demande de renseignement. Ils en connaissent déjà la réponse. Dans la mentalité juive la mer représente le chaos, l'incompréhensible ; la mer fait disparaître tout repère, on y est perdu. Sa force destructrice représente la violence et la mort. La mer est l'ennemi du Dieu qui donne l'ordre, la paix et la vie ; elle révèle la fragilité et l'impuissance de l'homme, et seul Dieu peut la maîtriser, et le fait qu'il peut la maîtriser révèle la puissance infinie de Dieu. C'est ce que la première lecture d'aujourd'hui, tirée du livre de Job, nous dit. La scène sur le lac rappelle les premiers versets de la Genèse - l'obscurité, la tempête, l'abîme, le chaos incompréhensible avant que Dieu ne prononce sa parole créatrice. Dans leur barque, les disciples sont au milieu de ce chaos, ils sont perdus, et ils sont menacés par la violence de la mer. Et Jésus prononce sa parole de puissance, sa parole de paix et d'ordre. La question des disciples montre qu'ils sont confrontés, en Jésus, à la puissance de Dieu, et qu'ils le savent. Ils passent d'une crainte à une autre, d'une incompréhensibilité à une autre, du chaos de la tempête où on ne se retrouve pas à la majesté mystérieuse et incompréhensible de Dieu. Le fait que Jésus apaise la tempête est plus qu'impressionnant ; pour les disciples, c'est un moment révélateur.

Il y a des moments révélateurs dans nos vies, des moments où nous voyons un aspect de la vie, du monde, de l'existence, dont nous étions inconscients. Pour prendre un exemple familier : la première fois qu'on tombe amoureux, c'est une révélation ; la personne dont nous tombons amoureux semble changée, elle nous ouvre son mystère. Mais le monde entier aussi peut nous paraître changé. Nous pouvons percevoir une intensité dans les choses, une vie, une profondeur, une richesse auxquelles nous n'avons même pas songé avant. Il y a une double révélation : on voit autrement la personne dont on est tombé amoureux, mais on voit le monde autrement aussi. Il en va de même pour les disciples de Jésus. Maintenant, ils voient Jésus autrement, ils voient en lui la présence divine, d'où leur crainte. Mais désormais ils verront autrement le monde entier aussi. A partir de ce moment le monde sera pour eux un monde sujet à la parole de Jésus, comme à la parole de Dieu. La parole de Jésus est la parole créatrice de Dieu. Même les choses menaçantes, qui font peur, comme les tempêtes, sont plus que le jeu aveugle des forces naturelles ; elles sont soumises à la parole de Jésus, et les disciples se voient entourés de la puissance mystérieuse de Jésus.

Dans ce récit, tout finit bien ; les disciples ne périssent pas, Jésus les sauve. Mais ils vont périr un jour. Pour eux, comme pour nous, tout ne va pas finir bien. Il y a souvent ceux qui, perdus dans une situation périlleuse, dans l'obscurité, dans le chaos, n'en sortent pas, qui crient éperdument vers Jésus, et qui finissent par périr. Marc, semble-t-il a écrit son évangile pour les chrétiens de Rome, qui périssaient sous la persécution de l'empéreur Néron. Ils criaient sans doute vers Dieu, vers Jésus, et ils périssaient quand-même. Le but de ce récit n'est pas de dire aux disciples qu'ils survivront s'ils font appel à Jésus ; ils savaient déjà que ce n'était pas le cas. C'était de leur rappeler que même dans le danger, dans la souffrance incompréhensible, dans la mort, ils n'étaient pas abandonnés. Ils étaient dans un monde animé par la parole de Dieu, de Jésus, et ils étaient entourés par sa puissance mystérieuse. Face à la souffrance, face à la mort, face au chaos, il fallait du courage, et c'est ce moment révélateur sur le lac, qui leur montre la majesté incompréhensible de Jésus, qui leur donne ce courage.