12ème dimanche ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 25/06/17
Année: 2016-2017


« Veritas est adæquatio intellectus et rei » écrivait fameusement Saint Thomas d’Aquin. Au cas où vous ne connaitriez pas le sens de cet aphorisme, permettez-moi de vous en donner la traduction. La vérité est l’adéquation de la pensée et des choses. En ce sens, la vérité consiste avant tout en l'accord entre ce qui est dit et l’objet qui est énoncé. Le sol de la Collégiale Saint-Jean est noir et blanc : adéquation entre ce que je dis et la réalité. Si je vous dis, par exemple, que le père Philippe Cochinaux est allé chez le coiffeur cette semaine, vous pouvez vérifier l’adéquation entre mes dires et la nouvelle chevelure du provincial.

Voilà une définition traditionnelle de la vérité, mais il y a bien d’autres manières de parler celle-ci. Etymologiquement, vérité signifie en grec dé-voilement. La vérité est complexe, souvent opaque, et l’Evangile de ce jour nous parle bien de la vérité au sens de dévoilement.
« Ne craignez pas les hommes. Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé. Rien n’est caché qui ne sera connu » nous dit Saint Matthieu.

Notre monde occidental a un rapport quelque peu paradoxal à la vérité. Nous voyons sans cesse des personnes aspirant à ce que toute la clarté et toute la vérité soient faites. Et néanmoins, lorsqu’on parle de la Vérité avec un grand « V », il y a comme une peur, car nous savons qu’en son nom, le plus atroce est commis aux quatre coins du monde. Comme l’écrira une sociologue, la vérité nous fait souvent peur, et par cela même, nous sommes dans une culture où l’utile a pris le pas sur le vrai. Nous faisons des choses qui nous sembles utiles, mais sont-elles pour autant vraies, ajustées à ce que nous sommes réellement ?

L’Evangile de ce jour nous invite à ne pas dissocier les deux. Alors que certains se posent la question du « comment bien vivre ? » et que d’autres s’intéressent à « ce qui est vrai », l’Evangile viendra toujours réconcilier les deux. « Comme vivre cette vérité venant de Dieu ? » Voilà cette question qui nous est posée. La vérité —même si elle dérange— est utile lorsqu’elle se dit avec délicatesse et bonté. Toutefois, acceptons-nous qu’un tel dévoilement se fasse sur nous-mêmes ? Acceptons-nous notre propre vérité, voulons-nous de devenir ce que nous sommes ? Ou voulons-nous rester ce que nous ne sommes plus ?

Sur ce chemin de vérité, de dévoilement, l’Evangile nous invite à nous en remettre —non à nous-mêmes— mais à Dieu, en sa providence. En sa providence… Le mot est lâché… vous ne l’avez sans doute pas souvent entendu dans cette église. Et il fait même parfois un peu peur, tant il semble poussiéreux et désuet. Et il est vrai que la providence entendue classiquement comme l’intervention divine en ce monde au détriment de notre liberté— beaucoup d’entre nous n’y croient plus du tout. Cependant, il y a une profonde réalité humaine derrière ce mot. Providence signifie « voir à l’avance ». Nous pourrions dire, voir « en avance ».

Toutes et tous, il nous arrive parfois de croiser de ces personnes providentielles, qui nous ont vue « en avance ». Elles ont été en avance sur notre temps. Elles n’ont pas prédit notre avenir, mais elles nous ont offert des paroles bienveillantes qui se sont avérées par la suite… Elles nous ont aimés, avant même que nous puissions les aimer en retour. Elles nous ont aidés à nous révéler. Croire en la providence de Dieu, c’est croire qu’il y a des personnes providentielles qui nous ont vues —non avec un regard de profit ou d’utilité— mais avec une longueur d’avance, une hauteur d’avance. Même sans que nous nous en rendions compte, elles nous ont aidés à nous dévoiler. Leurs paroles se sont vérifiées en nous. Elles nous ont vues en vérité, avant que nous fassions cette vérité sur nous-mêmes. « Fais-moi voir » crie Jérémie dans la première lecture.

Bien entendu, toutes et tous, que nous le montrions ou non, il se peut que nous soyons dans une période de notre vie où la vérité semble lointaine, où le désespoir a pris le pas sur la confiance. Il se peut que nous soyons dans une phase où « la tendresse a déserté notre maison », où le mot providence semble particulièrement inaudible.

Mais n’est-ce pas justement quand notre avenir semble voilé, sans horizon, que Jésus vient nous dire « sois sans crainte ». Et il le fait à trois reprises. C’est alors qu’il nous faut entendre dans nos ténèbres que rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, qu’une parole de bonté peut venir se vérifier, se révéler en nous. Alors, nos yeux seront ouverts pour croiser des êtres providentiels, et — peut-être à notre tour— en être pour les autres. Amen.