14e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

JÉSUS TROP CONNU POUR ÊTRE CRU

L'évangile de Marc est admirablement construit (comme les autres d'ailleurs). Nous avons lu (en partie) les deux volets de l'activité de Jésus pour proclamer et étendre le Royaume de Dieu :

*   4, 1-34 : IL PARLE : discours des paraboles : Jésus révèle, en images, en quoi consiste ce mystérieux Royaume présent dans l'humanité.

*   4, 35 - 5, 43 : IL AGIT : il accomplit certains actes qui manifestent la puissance de guérison de ce Royaume.

Cet ensemble est encadré par deux scènes qui soulignent combien les plus proches de Jésus demeurent sceptiques devant son comportement :

*  AVANT : 3, 31-35 : ses parents (y compris sa mère !) surviennent pour le récupérer et le ramener à la maison, se demandant s'il n'a pas perdu la tête (3, 20-21)  Il refuse de les suivre.

*  APRES : 6, 1-6 : son village de Nazareth se braque devant lui. C'est ce dernier texte que nous écoutons aujourd'hui.

JESUS DE PASSAGE DANS SON VILLAGE

Jésus est parti pour son pays et ses disciples le suivent. Un jour du shabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Les nombreux auditeurs, frappés d'étonnement, disaient : «  D'où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ?...N'est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses s½urs ne sont-elles pas ici chez nous ? ».

Et ils étaient profondément choqués à cause de lui. Jésus leur dit : «  Un prophète n'est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison ». Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s'étonnait de leur manque de foi.

Il y a quelques mois déjà, le charpentier Jésus (34 ans ?) avait laissé sa mère et son établi de Nazareth pour descendre en Judée, avec d'autres jeunes peut-être, et écouter le prophète Jean-Baptiste. Comme beaucoup, il avait demandé le baptême mais ensuite, curieusement, il n'était pas remonté au village avec les autres et peu après, à la stupeur générale, on avait appris qu'il circulait à travers la Galilée en annonçant le Royaume de Dieu et en opérant des guérisons. Que s'était-il passé ? Qu'est-ce qui lui avait pris ? Très inquiet devant la colère des scribes à son égard, son clan familial avait vainement essayé de le récupérer. Et voilà qu'un jour, il revient dans son village, accompagné d'une bande de disciples. Rien de changé dans ses apparences. Pas d'auréole. Toujours souriant, affable, simple, ouvert à chacun, pas distant pour un sou.

Pour le culte du shabbat, le chef de la synagogue l'a invité à prêcher. Ce matin de l'office, tout le village, intrigué, curieux, se presse dans le petit édifice.

Et JESUS « ENSEIGNE », comme il le fait depuis le début à Capharnaüm (2, 13). Que dit-il ? De quoi parle-t-il ? Comme d'habitude, Marc se garde de rapporter le contenu des enseignements de Jésus (il ne le fait qu'à 3 reprises : 4, 1... (discours des paraboles), 9, 33... (discours à la communauté des disciples), 13, 1... (discours sur l'avenir). L'essentiel, c'est le mode de sa parole : « il parle avec autorité » c.à.d. sans s'appuyer sur des maîtres, sans enfiler des citations savantes (1, 22). Si bien que la question n'est pas « Que dit-il ? » mais « Qui est cet homme qui ose s'exprimer de la sorte ? ».

Marc souligne très fortement l'ébahissement de l'auditoire : « frappé...scandalisé ». Complètement « soufflé » dirait-on. « D'où ça lui vient-il ? ». Quelle est l'origine de sa prédication, comment peut-il accomplir ces miracles, dont on parle partout ? C'est un artisan, un manuel, toujours resté au village, pieux certes, mais n'ayant jamais suivi la formation savante des scribes. On connaît bien sa famille : sa mère (le père est mort depuis un certain temps), ses frères et s½urs. (Les interprétations divergent sur ce sujet : Marie aurait-elle eu plusieurs enfants ou s'agit-il de cousins et proches parents ????? .....).

Jésus formule un constat général : Un prophète est méprisé, non reconnu, dans son pays et chez les siens.

Manque d'accueil, de reconnaissance, de foi ! C'est très grave car en conséquence, Jésus est impuissant à accomplir des miracles. En effet son « autorité » n'est pas mécanique, elle ne viole pas les consciences. De même qu'une maison doit ouvrir ses volets pour que la lumière y pénètre, ainsi l'homme doit être humble, prêt à demander, accessible, afin que la force du Royaume puisse se déployer en lui. Sinon Jésus serait un magicien qui joue des tours, qui s'amuse de la crédulité du public.

Pour ne pas avouer un échec total, Marc ajoute qu'il fit quand même l'une ou l'autre guérison « en imposant les mains » : geste antique de protection, de communication d'une grâce divine.

« IL S'ETONNAIT DE LEUR MANQUE DE FOI » (« apistia » : « sans-foi » comme 9, 24).

LE REFUS DES UNS PROVOQUE L'ANNONCE AUX AUTRES

Alors il parcourait les villages d'alentour en enseignant.

Pas question de se mettre en colère, d'accabler ces gens de reproches cinglants ni de les condamner à l'enfer. Inutile de s'acharner, de vouloir à tout prix obtenir des résultats. Jésus ne se décourage ni ne s'arrête jamais : il reprend sa route et s'en va porter la Parole ailleurs.

Marc écrit son Evangile dans les années 70 alors que les missionnaires chrétiens sillonnent les cités grecques où les gens se demandent pourquoi des Juifs viennent leur proposer de croire en un Sauveur juif qui a été refusé et même tué par ses propres compatriotes. Marc, comme Paul, répond : la fermeture des uns a permis l'offre de lumière aux autres, les premiers (Juifs) ont été sourds à un message qui, du coup, a retenti chez les seconds (païens) qui l'ont accepté.

« Le christianisme trop bien connu » ?... Aujourd'hui les pays occidentaux avec une grande majorité de baptisés et des vestiges chrétiens prestigieux (les Saints, les cathédrales, les génies de la musique et de la peinture) semblent devenus allergiques à un message qui a fait vivre les générations de leurs ancêtres et les lieux de culte deviennent espaces culturels. Mais au fond de la Sibérie comme dans les forêts d'Afrique, au pied de l'Himalaya comme dans la Cordillère des Andes, des pauvres s'émerveillent d'entendre un message inouï. En Albanie (qui fut 1er pays athée) et au Cambodge (où toute l'Eglise fut exterminée), des paysans bâtissent des chapelles où ils chantent la gloire de Jésus. Au Vietnam, me dit-on, la messe quotidienne de 6 h du matin est suivie par une foule de personnes.

Les Occidentaux sont-ils devenus comme les villageois de Nazareth, des chrétiens blasés qui disent « Je sais », qui croient connaître Jésus, qui répètent des formules figées une fois pour toutes et ronronnent les mêmes cantiques ? N'avons-nous pas « momifié » Jésus ? Son « enseignement » doit à nouveau résonner chez nous « avec autorité » : non comme une pommade émolliente qui adoucit les bobos, non comme un opium qui endort et transporte dans un rêve de salut. Mais comme une Parole forte, pure, qui dénonce l'avidité consommatrice, les rites hypocrites, l'engourdissement des consciences.

Une Parole qui appelle à CROIRE. A redécouvrir un Jésus homme, mais qui échappe à toute prise, qu'on n'enferme dans aucune définition, qu'on ne connaît qu'en cherchant sans cesse à le connaître, semeur de graines de vie dans les c½urs assoupis, destructeur des habitudes et des routines, maître des tempêtes, guide « vers l'autre rive », en quête d'une autre manière de vivre.

Dans la société, les échecs sont causes de tristesse, sources de découragement, occasions de démission. En Eglise, il n'y a pas d'échecs mais « résilience » »,  appel à rebondir, à ouvrir des missions ailleurs. Si mon enfant reste fermé, je parlerai de Jésus à un collègue de bureau et je serai stupéfait de son ouverture.

Tristesse de beaucoup d'être l'unique croyant, le seul pratiquant dans la famille, sujet de moqueries. Honte de l'adolescent qui n'ose avouer à ses copains qu'il va à la messe. La foi est souvent solitude dans l'entourage immédiat...et communion avec le lointain.