Il y a parfois des petits gestes qui semblent souvent anodins et qui, pourtant, vont nous marquer tout au long de notre vie. Me revient en mémoire un de ceux-ci. Lorsque j'étais enfant et que je rentrais dans la maison familiale avec ma grand-mère, celle-ci trempait toujours ses doigts dans un petit bénitier situé à côté de la porte d'entrée puis elle se tournait vers moi ou un de ses autres petits-enfants et nous invitait à nous signer. C'était sa manière à elle de dire « Paix à ma maison ». Il était important que nous nous rappelions que nous étions non seulement dans sa maison mais aussi dans une demeure où Dieu était présent. Ce simple signe de croix était le souhait exprimé par elle pour que l'évangile puisse se vivre au quotidien au sein de la famille. Et il est vrai que la famille est et reste une institution complexe. Nous ne l'avons pas choisie et nous sommes priés de cohabiter ensemble. Elle est un lieu essentiel d'apprentissage de la vie. C'est en effet au c½ur de nos familles que nous avons appris à vivre en communauté, à découvrir que chacun avait droit à sa place. Au c½ur de ces premières relations, au sein de chacune de nos fratries, se vivent les jeux et les disputes mais également la découverte d'un ensemble de règles et de valeurs qui participent au bien-être de toute la maisonnée. Parfois aussi nous avons, durant notre enfance, été confrontés à certains principes dont nous ne saisissions pas tous les contours. Ces principes pouvaient avoir alors le don de nous énerver. Surtout lorsque ces derniers ne s'enracinaient plus dans la vérité des situations. Ne devrions-nous alors pas reconnaître que si les valeurs conduisent à la vie, les principes peuvent la tuer ou en tout cas, conduire à une certaine forme de violence exprimée à l'égard de certaines personnes ou situations. Avec les principes, l'amour n'est souvent plus au c½ur de la rencontre or il n'y a jamais rien à gagner à faire la guerre. Le terrain de la violence est toujours un lieu où toutes les parties en présence sont perdantes quelque part. C'est pourquoi, le Christ nous invite à dire d'abord « Paix à cette maison ». Mais de quoi peut-il bien s'agir ? La paix de Dieu est-elle tellement différence de celle des êtres humains ? En quoi serait-elle plus spécifique qu'une autre ? Après une dispute ou un conflit, lorsque je décide de ne pas me laisser enfermer dans une spirale de violence, je suis la source de la paix que je cherche à vivre lorsque celle-ci est le choix de ma propre volonté. La paix du Christ, comme celle que nous nous donnons à chacune de nos célébrations eucharistiques, est d'une tout autre teneur. Nous n'en sommes pas l'origine. Cette paix nous a d'abord été donnée. Elle trouve son fondement en Dieu. Cette paix ne nous appartient pas. Elle vient de plus loin que nous et nous, nous en sommes son porteur, son messager. Un peu comme si la paix de Dieu passe toujours par un être humain vers un autre être humain. Le premier n'est que le médiateur de ce qui le dépasse et le transcende. Il reçoit un cadeau à ce point merveilleux, qu'il ne peut le garder pour lui tout seul. La paix de Dieu a comme vocation à se partager, à s'offrir. Elle est comme l'amour, c'est-à-dire qu'elle se multiplie en se donnant. Je me risquerais même jusqu'à dire que la paix de Dieu est contagieuse. Elle peut se répandre comme une épidémie de bonheur qui touche toute personne qui la reçoit car cette paix est profondément respectueuse des différences qui nous constituent. En offrant la paix de Dieu à l'autre, je le reconnais non seulement comme autre mais aussi comme étant quelqu'un qui a droit à avoir à sa juste place dans la vie. En d'autres termes, cela pourrait vouloir dire : tu es qui tu deviens et je m'en réjouis pour toi. Je suis avec toi, à tes côtés dans tes combats intérieurs ou dans tes traversées plus douloureuses. Je ne nie pas ta réalité. Non seulement je l'accepte mais je l'accompagne, c'est-à-dire je suis avec toi tout en sachant je ne serai jamais toi. Tu es à ta place, je suis à la mienne. Nous sommes autres l'un pour l'autre. Il n'y a pas de fusion entre nous juste un espace nécessaire pour que la tendresse puisse s'exprimer et se vivre. Pour que la paix de Dieu puisse se donner, il suffit parfois d'un regard, d'une caresse, d'un simple mot. Toutes ces petites merveilles qui peuvent se donner que l'on soit malade ou en bonne santé. Par exemple, un « je t'aime » prend le temps de sept lettres et pourtant ces trois mots peuvent faire chavirer l'océan de nos sentiments. La paix du Christ conduit à une paix intérieure, profonde, une paix qui conduit à trouver ou retrouver en nous une certaine sérénité malgré la réalité parfois dure à laquelle nous pouvons être confrontés. Que la contagion de cette paix nous anime pour que nous en soyons les porteurs et ce, quelque soit notre réalité personnelle. C'est cette paix-là qui nous permettra alors de reconnaître que le « règne de Dieu est tout proche de nous ».
Amen