15e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2008-2009

Une question et une réponse. La question est posée par un savant mais elle est pratique : que faire pour vivre vraiment, pour connaître une vie qui durera toujours ? La réponse de Jésus est simple, traditionnelle, elle résume toute la loi : aimer ! Il faut aimer.

Mais la question rebondit : aimer qui ? Car notre juriste, notre docteur de la Loi est averti : aimer tout le monde, c'est n'aimer personne en particulier. Aimer suppose des choix. Qui est donc mon prochain ? Ma femme, mes enfants, mes collègues, mes voisins ? Vous connaissez la réponse d'usage « charité bien ordonnée commence par soi-même ». Elle justifie l'égoïsme mesquin et rejoint la boutade de Jean-Marie Lepen : « Jésus n'a pas dit d'aimer son lointain mais d'aimer son prochain ». Autrement dit, il faut être solidaire du clan mais pas plus loin.

Tous ces petits arrangements de la bonne conscience bourgeoise volent en éclat aujourd'hui avec la parole de Jésus. C'est une parole absolument neuve, transcendante, sans aucun compromis. Elle n'a rien de culturellement conditionné. Elle appelle à une ouverture de c½ur et d'esprit, toujours bien au-delà de ce que nous pratiquons. Elle introduit à une vie nouvelle, dont on ne peut avoir aucune idée tant qu'on n'a pas essayé.

Jésus raconte une petite histoire, il ne répond pas à la question, il y revient tout à la fin pour vérifier si l'interlocuteur a deviné. Je vous propose à mon tour un petit jeu. Tout d'abord ne regardez plus votre feuille. Est-ce que vous vous souvenez de la réponse à la question ? Qui est le prochain dans cette histoire ?

Spontanément nous répondons « l'homme blessé ». Cela signifie que nous nous identifions à celui qui aide, à celui qui a le beau rôle, à celui qui ne souffre pas. Nous comprenons le mot aimer comme le mot aider, comme le mot donner. Et la main qui donne est toujours au dessus de la main qui reçoit. Ce rôle est gratifiant.

Mais la question de Jésus se formulait ainsi : « A ton avis, lequel des trois a été le prochain de l'homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » Le point de vue est inversé. Il s'agit de se mettre à la place de l'homme blessé, à la place de celui qui était à moitié mort, que l'on a soigné, que l'on a hébergé, que l'on a aidé. La place de celui qui a reçu, gratuitement.

Beaucoup de choses peuvent nous choquer dans cette histoire. C'est une relation d'amour inégale. Il n'y a pas ici de réciprocité : ni amitié ni sentiment. Ils n'échangent pas un mot, pas de problèmes de traduction ! Le samaritain est pressé, il n'attend pas la guérison. Cet « amour du prochain » est très distant, pas du tout fusionnel : les nationalités sont différentes et même les religions. Pour le moins que l'on puisse dire, il n'est pas captatif !

Aimer mon prochain, celui qui s'est fait proche, ici, c'est aimer celui qui m'a aidé, celui qui m'a aimé, être capable de reconnaissance, pour ensuite être capable de faire de même.

***

Une autre chose attire mon attention : quand on va de Jérusalem à Jéricho, en passant par la route jadis construite par le roi de Jordanie, on traverse le cimetière du mont des oliviers et l'on découvre un panneau qui dit ceci : route interdite aux Cohen et aux Lévi. Route interdite aux prêtres. En, dans la Loi, un prêtre n'a pas le droit de toucher un mort ni donc d'entrer dans un cimetière, il deviendrait impur et ne pourrait plus servir au Temple. L'attitude des deux premiers personnages s'explique donc très bien : ils se conforment à l'usage, ils ne transgressent pas les interdits de leur temps.

La question que je vous pose est redoutable : peut-on aider quelqu'un vraiment sans transgresser certains tabous sociaux, comme toucher ce qui est sale. Celui qui est malade, à demi-mort, peut être contagieux, et contagieux à tous les sens du mot ! Interrogez votre expérience. Peut-on être humain sans parfois se compromettre auprès de gens suspects, sans transgresser les règlements, sans risquer de devenir soi-même impur, à tous les sens de ce mot ?

Se faire proche, c'est descendre de son piédestal pour se mettre à hauteur que l'autre. C'est franchir une frontière qui peut être celle de la vie et de la mort, du pur et de l'impur, parfois même du légal et de l'illégal.

***

Je terminerai par une note théologale car la morale ne sert à rien si elle ne communique pas la vie même de Dieu. La foi chrétienne affirme précisément que le Dieu Tout Puissant fait le pas de rejoindre l'humanité blessée. Dieu s'est fait homme pour nous sauver. « Jésus Christ, lui qui est de condition divine, n'a pas considéré comme un privilège exclusif, le rang qui l'égalait à Dieu mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur devenant semblable aux hommes, et il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort du paria, la mort de la croix. » (Ph 2,5)

C'est d'un même mouvement que je peux aimer Dieu et mon prochain. Dieu s'est fait mon prochain. Vivre cet amour-là, c'est connaître dès maintenant une vie que la mort ne brisera pas car elle est capable de franchir toutes les frontières et toutes les limites.