QUI ES - TU : le Samaritain, le blessé ou l'aubergiste ?
La parabole de ce dimanche est une des plus belles histoires dont Jésus est l'inventeur génial, au point que son héros est devenu un prototype : « C'est un bon Samaritain ! » dit-on de quelqu'un qui se dévoue pour rendre service. Pourtant, dans les premiers siècles de l'Eglise, saint Irénée, saint Clément d'Alexandrie, Origène, saint Augustin et d'autres ne voyaient pas dans ce texte un modèle de philanthropie : de façon beaucoup plus profonde, ils le commentaient comme l'histoire imagée du salut de l'humanité et, dans le Samaritain, ils voyaient Jésus lui-même. Cette interprétation est illustrée (comme une bande dessinée) dans les grands vitraux des cathédrales de Chartres, Bourges, Sens où le Samaritain est bien le Christ.
LES PETITS VOIENT CE QUE LES SAGES NE VOIENT PAS
Il faut en effet remarquer que dans l'évangile de Luc, la scène de ce jour est précédée par un cri d'allégresse de Jésus : « Je te loue, Père, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits... ». Puis il se tourna vers ses disciples et leur dit en particulier : « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez... » (10, 21-24). Jésus constate qu'en général, les « sages » (c.à.d. les scribes et les pharisiens) refusent sa prédication et que les gens du peuple, les gens simples, eux, l'accueillent avec joie.
C'est à ce moment que survient un docteur de la Loi qui s'approche « pour mettre Jésus dans l'embarras » c.à.d. avec une intention malveillante : « Ce n'est pas ce paysan de Galilée qui va m'apprendre quelque chose ! ». Et il récite fièrement son savoir : l'essentiel de la Loi est d'aimer Dieu de tout son c½ur, toute son âme, et d'aimer son prochain comme soi-même.
Jésus le félicite et en ajoutant une parabole, il lui apprend qu'il ne faut pas seulement aimer ceux qui nous sont proches mais « se faire le prochain du blessé, de celui qui attend une aide ». « Va et fais de même » dit Jésus en terminant. « Tu es un sage, un homme spécialiste de la Loi, tu me demandais ce qu'il faut faire : je t'ai répondu à ton niveau : « Va et fais de même » puisque, pour toi, la religion, c'est d'écouter les enseignements des maîtres et de les appliquer au mieux.
Mais cela demeure dans l'optique de « la 1èreAlliance » !!! Recevoir un conseil, un ordre, constitue un enseignement éclairant certes mais ce n'est pas une Bonne Nouvelle puisque je me retrouve, avec ma faiblesse, devant une obligation à suivre. Et plus j'apprends de lois, plus je suis écrasé !
« Heureux les yeux qui voient » disait Jésus à ses disciples. Les « Actes des Apôtres » et les Lettres des apôtres montrent l'allégresse qui a pris les chrétiens après Pâques lorsqu'ils ont compris que Jésus les libérait du carcan de la Loi pour les introduire dans l'horizon sans limite de la grâce. Ils ont « vu » ce que signifiait la parabole du Bon Samaritain et ils en ont été comblés de bonheur. Expliquons-la à leur suite.
Jésus dit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho et il tomba sur des bandits ; ceux-ci après l'avoir dépouillé, roué de coups, s'en allèrent en le laissant à moitié mort... ».
La petite histoire ne nous raconte rien moins que l'histoire de l'humanité. Jésus ne parle pas d'un mâle mais d'un être humain (« anthropos » en grec). Créé par Dieu, fait « à son image », appelé donc à demeurer près de Lui, Adam (c.à.d. tout humain) malheureusement s'éloigne de son Créateur. Il quitte l'intimité avec Dieu (Jérusalem, la ville du Temple, de la Présence) pour descendre vers Jéricho, la riche oasis de la vallée du Jourdain, le pays de l'opulence- mais aussi de Sodome et Gomorrhe ! - celui que Lot, le neveu d'Abraham avait choisi. Notre « pente » est toujours de trouver trop dure la vie selon Dieu pour chercher une existence plus confortable qui nous apporte plus de jouissances et de plaisirs.
Mais si l'humain tourne le dos à Dieu, alors il pénètre dans le champ des affrontements où chacun est seul et vulnérable. L'humain est tellement faible qu'il « tombe » immanquablement sur des puissances qui le dépassent et auxquelles il n'a pas la force de résister. Vanité, orgueil, égoïsme, cupidité l'attaquent et le jettent à terre. Dans le désert de la vie païenne, l' « image de Dieu » est piétinée, bafouée et l'homme, blessé dans son être, comprend qu'il devient un « être-pour-la-mort ». Condamné. Qui le sauvera ?
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin : il le vit et passa de l'autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit : il le vit et passa de l'autre côté.
Prêtres et lévites étaient justement les hommes du temple de Jérusalem, chargés d'offrir les sacrifices, d'organiser les cérémonies, d'enseigner la Loi. Mais il leur était défendu, sous peine d'impureté, de toucher le sang et même ils interdisaient aux malades et aux handicapés - gens impurs- de pénétrer dans l'enceinte du temple. Les deux hommes de la parabole représentent donc non l'indifférence des prêtres juifs mais leur incapacité à « sauver l'homme » : cantiques, sacrifices d'animaux, encens, lois restent impuissants à remettre l'homme debout. Saint Paul l'a bien expliqué (Gal. et Rom.). Sommes-nous donc condamnés ?
Mais un Samaritain en voyage arriva près de lui : il le vit et il fut saisi de compassion. Il s'approcha, pansa ses plaies en y versant de l'huile et du vin. Puis il le chargea sur sa monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d'argent et les donna à l'aubergiste : « Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai »
Vous comprenez maintenant pourquoi les vitraux de Chartres et de Bourges représentent le Samaritain sous les traits du Christ. Après le temps des lois qui « passent à côté de nous » sans nous guérir, est venu enfin le temps non du salut mais de quelqu'un : le Sauveur. Jésus (IESHOUAH = Dieu sauve) voyait la misère cachée de Marie-Madeleine, de Zachée, de la Samaritaine ; il voyait la lâcheté de Pierre et la faiblesse de ses apôtres. Comme il nous voit, chacun, voyageurs perdus dans le désert de l'amour.
Il n'était pas un prêtre imbu de liturgies, un impassible docteur de la Loi répétant : « Il faut que... ». En nous voyant si pauvres, « il est bouleversé aux entrailles » : nous retrouvons ici le fameux verbe qui exprime l'émotion « matricielle » de Jésus lorsqu'il nous voit abîmés. Pas de colère, de menaces, de condamnations car le péché est une maladie, une blessure à soigner, à guérir. Le « docteur samaritain » voit, a compassion, vient près de, prend en charge. « Je suis venu pour les malades ».
L'huile oint le converti et le moribond pour les pénétrer de la force de l'Esprit-Saint. Et le vin, avec le pain, soigne, apaise, réconforte. Les sacrements, baptême et eucharistie, ne sont pas des récompenses pour croyants impeccables mais des médicaments qui nous instillent la puissance divine de guérison.
L'EGLISE : DISPENSAIRE DE MALADES ET NON ACADEMIE DE SAVANTS
Le Christ n'a fait que passer dans l'histoire mais il n'abandonne pas l'homme : il le conduit dans l'Eglise qui, loin d'être un palace pour saintes gens est « un fourre-tout » (traduction exacte), un dispensaire plein de cris et de larmes, où « l'aubergiste » (Pierre) doit accueillir, sans dégoût, tous les pécheurs blessés afin de prolonger sur eux les soins que Jésus leur dispensait.
Que les responsables de communautés adoptent donc la bonté du Christ samaritain : remarquer sur toutes les routes (surtout mal famées) ceux qui sont perdus, les recueillir, les porter, leur offrir, avec délicatesse et patience, les soins « christiques ». « Deux talents » : le baptême et l'Eucharistie. Et les deux commandements. Aime Dieu de tout ton être et aime ton prochain, fais-toi proche de celui qui maintenant a tout de suite besoin de toi, c'est toi qui dois combler la distance.
A l'exemple du Christ venu du ciel sur la terre.
« Que dois-je faire pour... ? » demandait le scribe. Tout au contraire la foi chrétienne est de recevoir : d'abord prendre conscience de sa misère incurable, se laisser approcher par le Christ, se laisser soigner par ses bras, son regard, son c½ur, ses sacrements, se laisser accueillir dans son Eglise où son amour pourra déployer ses effets. Et ne plus jamais désespérer.
Car, un jour, le Samaritain « repassera » comme il l'a promis : il nous rendra au centuple l'amour que nous aurons vécu et, de l'auberge, il nous introduira dans la Maison du Père où il n'y aura plus de conflits, de blessures, de gémissements, d'indifférence, de désespoir.
On admirait mère Térésa pour son ½uvre sociale (« Quelle bonne Samaritaine »): on omettait de dire qu'elle passait, chaque jour, des heures de prière et d'adoration à se laisser « soigner » par le Christ.
L'Eglise n'est pas une O.N.G., vient de répéter le pape François.
15e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013