« Il ne faut pas prendre le tout pour la partie, ou le contenant, pour le contenu. » Rien de plus logique. Cela peut vous sembler stupide ou évident, mais l'évangile que nous venons d'entendre nous provoque un peu dans notre petite logique du contenant et du contenu. Jésus, pour nous faire découvrir plus encore ce qu'est son Royaume, utilise une parabole avec une surprenante comparaison. « Le Royaume des Cieux, nous dit-il, est comparable à un trésor caché dans un champ ; l'homme qui l'a découvert le cache à nouveau. Cependant, dans sa joie, cette personne vend ce qu'elle a et achète le champ. » N'est-il pas étrange qu'une personne, ayant trouvé un trésor dans un champ, le cache à nouveau dans ce même champ ? Ne serait-il pas plus logique de garder ce trésor, ou de le montrer aux autres, plutôt que de le cacher à nouveau ?
En réalité, Jésus nous invite sans doute à renverser notre logique. Pour avoir le contenu, ce Royaume dans lequel nous espérons, il nous faut être prêt à toujours partir du contenant, le champ dans lequel il est enfui. Un disciple du Royaume tire son trésor du neuf et de l'ancien. Mais si tel est le cas, quel est ce champ qu'il nous faut acheter pour accéder au Royaume ? Quel est ce champ qui a du prix aux yeux de Dieu ?
Peut-être tout simplement que Jésus nous invite à découvrir que le trésor du Royaume est avant tout caché en nous, dans le champ de notre humanité, dans la terre de notre frère. Les prémices du royaume des cieux se révèlent d'abord à nous dans le "sacrement de notre humanité", dans cette humanité faite à l'image et à la ressemblance de Dieu. En effet, humanité et humus, la terre, ont la même racine. Le royaume des cieux prend donc le chemin de la terre des hommes. Nous partageons tous la même humanité, la même terre d'un champ dans lequel le trésor du Royaume des cieux est caché et doit être discerné et découvert.
Pour trouver ce trésor, il nous faut donc un esprit de discernement. Nous avons à discerner le bien et le mal, avec un c½ur attentif, comme Salomon, et c'est ce que nous invite à découvrir la première lecture de ce jour. En effet, à l'offre de Dieu d'octroyer à Salomon tout ce qu'il demande, Salomon demande à Dieu le véritable trésor : le don de discernement du bien et du mal. Et cette demande peut sembler étrange, si nous comparons ce récit avec celui de la création, au livre de la Genèse ! En effet, dans le jardin d'Eden, Adam et Eve voulaient être comme des dieux, capables de discerner le bien et le mal, et manger le fruit de l'arbre de la connaissance. Nous connaissons la suite du récit de la Genèse. Leur demande ne fut pas accordée.... Or, la demande de Salomon plut au Seigneur, et fut acceptée, car la demande de Salomon concernait d'abord son c½ur, et l'art d'être attentif. Donne à ton serviteur « un c½ur attentif », dit Salomon, « pour qu'il sache discerner ». En effet, on ne voit bien qu'avec notre c½ur, et notre trésor sera là où nous mettrons ce c½ur. Alors demandons-nous aujourd'hui quel est notre véritable trésor, en nous demandant ou se trouve véritablement notre coeur ?
Mais si tel est le dessein de Dieu pour nous, pourquoi donc le trésor devrait-il rester caché à nouveau ? Ne nous faut-il pas révéler aux yeux de tous ce que nous avons trouvé ? En réalité, il me semble que l'Evangile d'aujourd'hui nous invite à découvrir que le trésor du royaume doit d'une certaine manière rester caché en nous-mêmes, pour que ce trésor puisse être paradoxalement découvert par d'autres.
1. Le trésor doit tout b'abord rester caché à nous-mêmes, car nous sommes un mystère pour nous-mêmes. Il est parfois dangereux de prétendre avoir la pleine vérité sur les choses. Que nous le voulions ou non, nous sommes aussi des hommes cachés à nous-mêmes, des mystères sans réponse. Nous ne sommes pas transparents, mais nous avons des parts d'ombres en nous. Nous sommes des hommes dont le trésor est caché à nous-mêmes ; nous sommes ces champs, dont le trésor est enfoui au plus profond de nous. Ne cherchons donc pas le Royaume trop vite, trop loin, trop haut. Ce n'est peut-être pas comme cela que nous avons à vivre. C'est d'abord dans l'aujourd'hui de nos vies et de notre humanité que nous avons à chercher et espérer notre trésor. C'est en nous que le royaume doit d'abord se chercher. Non pas que Dieu meure en nous, comme si notre foi en Lui n'était qu'une foi en l'homme. Bien au contraire, Dieu doit naître en nous, comme l'a fameusement écrit de manière un peu provocative Maître Eckhart, un mystique dominicain. Il doit être découvert dans nos frères. L'athéisme est peut-être de ne pas vouloir voir nos frères à l'image de Dieu.
Le Royaume des Cieux se trouve donc dans le champ et dans la terre de notre humanité et de nos frères. Mais osons-nous faire face à cela ? Croyons-nous assez en nous-mêmes, pour croire en nous comme Dieu croit en nous ? Bien plus, sommes-nous assez forts pour « vendre tout ce que nous avons » comme nous y invite l'Evangile ? N'y aurait-il pas là une espèce de fanatisme, pouvant nous faire peur ? Connaissons-nous vraiment des personnes autour de nous qui auraient cette naïveté de tout donner pour une seule cause ? En réalité, il ne s'agit pas de se couper de tout, de vivre dans la précarité. Renoncer à tout ce que nous avons, c'est renoncer à tout ce qui nous empêche d'être nous-mêmes, car on ne se définit pas par ce que l'on possède, mais par ce qu'on est ; en effet, l'évangile ne dit pas que la personne achetant le champ n'a plus rien du tout, mais qu'elle s'est débarrassée de ce qu'elle avait, ce qui l'empêchait d'être elle-même pour acheter le champ. Grâce à cela, elle a pu acquérir ce qu'elle était, ce champ, et la terre de son humanité. Plutôt que de tout perdre, elle se gagne complètement. N'y a-t-il pari moins risqué que cela ?
2. Ensuite, si le trésor du royaume reste caché, c'est aussi pour que d'autres puissent le chercher et le découvrir. Un peu comme si le trésor de Dieu était constamment investi et réinvesti, révélé puis caché, pour que nous ayons sans cesse à le chercher. Il n'y a rien de plus dangereux que de se croire arrivés à destination sur cette terre. Comme l'a dit Christophe Colomb avant de partir pour les indes : « L'important pour moi n'est pas d'arriver, mais de partir. » Chercher toujours est donc la seule manière d'entretenir notre foi, et d'être prêt à être conduit vers l'inconnu de Dieu et du Royaume.
Oui, le royaume des cieux implique que nous ayons foi en l'inconnu de Dieu mais aussi foi dans le mystère de l'humanité de nos frères et soeurs. Cacher le trésor à nouveau est donc un acte de foi en Dieu et dans les autres. Cela signifie qu'il y a toujours plus à trouver, en soi, et dans les autres. Et bien souvent, ce sont les autres, nos frères, nos amis, qui nous aident à faire la vérité sur nous-mêmes. « Dites-moi qui je suis ; dites moi où est mon trésor », pourrions-nous dire à nos frères et s½urs, comme s'il leur appartenait de faire accoucher la vérité qui est en nous. D'une certaine manière, « c'est la foi que les autres mettent en nous qui nous indique notre route ». Cacher à nouveau le trésor dans le champ de notre humanité est donc un acte de foi, que nous posons pour les autres : foi que d'autres découvrent ce trésor, foi en l'homme qui peut contenir et garder ce trésor, foi en un Dieu qui visite et vit au c½ur de notre humanité.
Comme le dit Saint Paul, « Dieu nous a destiné à être à l'image de son Fils. » A notre tour de croire à ce dessein de Dieu pour nous, et d'aider nos frères et s½urs à croire que nous sommes cette terre porteuse du royaume en notre humanité, crée à l'image de Dieu. Amen.