17e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Que pourrait-on multiplier ? Les pralines ? Les jours de soleil et de vacances ? Les jours de pluie au Sahel ? On pourrait multiplier les sourires et les poignées de main, plutôt que les balles et les obus, en Syrie, en Israël,  dans les mondes conflictuels ... Des frites et des bières, en Belgique, il y en a suffisamment. Mais l'on pourrait multiplier les euros en Grèce ou en Espagne... on pourrait multiplier les instants d'attention et d'amitié... les moments de disponibilité.
Il y a beaucoup de choses que l'on pourrait multiplier. Mais pour multiplier, encore faut-il avoir la petite quantité initiale qui puisse être marquée d'une petite croix. La question est donc très simple : que pourrais-je offrir, moi, de temps en temps, qui puisse être multiplié ?

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Il faut être un tout jeune enfant pour être assez naïf, assez fou, assez inconscient, et présenter ses ressources quand tout vient à manquer. Montrer pains et poissons, quand les autres ont faim, c'est se mettre en danger. Face à la pénurie, le mot d'ordre est la discrétion. Dans certains pays, comme à Madagascar, la cuisine est à l'étage, pour que l'on ne puissent pas jeter des sorts sur la nourriture, pour que les autres ne soient pas jaloux. « Il ne faut jamais dire ce que l'on mange à la maison », dit-on en Corse : c'est une question de survie.

Mais l'évangile ne s'intéresse pas à la survie. Il y est toujours question de vie, et de vie en abondance. Au point que, pour vivre pleinement, il faut parfois mourir pour ressusciter. Ici donc, le jeune garçon n'a presque rien en comparaison des besoins mais ce petit rien, il l'offre. Il prend le risque de la faim et le risque de l'envie autour de lui. Ce qu'il a, on risque de le lui arracher avant qu'il l'ait donné. Dans ce geste étonnant se trouve probablement la leçon principale d'aujourd'hui.

C'est très simple. La faim ne sera vaincue ni par des miracles ni par de l'argent. Il y a eu les miracles techniques de la diffusion des pommes de terre, la sélection des semences et l'utilisation des engrais. Mais la faim subsiste encore au 21ème siècle. Elle ne sera vaincue par que le geste de la reconnaissance, de l'offrande à Celui de qui tout vient, et de la juste répartition. Le miracle, c'est la confiance et la solidarité. Il fallait quelqu'un pour commencer. Il fallait Jésus pour y encourager.

Dire que la faim se résout par des miracles, serait dire que lorsqu'il n'a pas de miracle, Dieu est responsable de la faim. Or justement Jésus s'enfuit quand on veut le faire roi. Il refuse de nous prendre en charge. L'évangile ne parle pas de miracle, il parle de signe. Il y a le symbole des nombres : cinq pains et deux poissons, douze corbeilles. Cinq, disent les pères de l'Eglise, comme il y a cinq livres dans la Thora, le Pentateuque, et deux comme il y a deux testaments. C'est la parole et la nourriture donnée par Dieu. Jésus est le « grand prophète », le nouveau Moïse qui donne la manne dans le désert.

Mais le jeune garçon est le premier miracle. C'est lui qui fait signe. Qu'il puisse y avoir quelqu'un qui fasse un geste pareil est exceptionnel. Il obéit à une logique transcendante, non économique, à une loi non écrite, celle de l'Esprit Saint. Tout ce qu'il a, il le donne. Peu importe que ce soient un, deux, ou cinq, c'est tout ce qu'il a, c'est de l'ordre de l'absolu. Son geste a quelque chose de mystique, de spirituel, comme un sacrement.

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Car cette attitude généreuse n'est pas seulement morale. Elle ne répond pas à des « il faut que ». Elle correspond à un élan d'échange et de vie, un enthousiasme, une certaine mystique qui transfigure la vie.

Les plus beaux gestes sont des gestes inspirés. Et même quand ils sont modestes, ils font signe. Ce sont des gestes contagieux. C'est la question du premier pas.
C'est déjà vrai au plan négatif « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre » dit Jésus à la foule. Personne n'ose faire le premier geste négatif, il faudrait pouvoir cacher son geste dans l'unanimité violente de la foule.  Personne ne veut se distinguer comme méchant alors il ne se passe rien, et la femme est sauvée, et l'humanité est sauvée.
Le premier mouvement, au plan positif, a quelque chose de l'élan créateur. Ici, c'est un enfant qui fait le premier geste, celui d'offrir ce qu'il a. Cette initiative, Dieu va la multiplier à l'infini. Et ce geste nous rejoint aujourd'hui, au c½ur de cette eucharistie.

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Une question se pose à nous : si je veux vivre dans la surabondance de la vie de Dieu, si je veux participer à cette joie multipliée de la confiance et de l'amour, si je veux expérimenter la communion et la gratuité, quelles sont les ressources personnelles que je vais dévoiler ? Quels sont les euros, les pralines, les minutes, les sourires,  les couques  et les poissons que je vais offrir à multiplier ?