17e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

LE SIGNE DU PAIN PARTAGÉ

Marc était en train de nous raconter que la foule avait rejoint Jésus et ses disciples dans un lieu désert où il s'était mis à enseigner. La suite de son texte rapporte que, le soir venu, se déroule ce que l'on appelle « la multiplication des pains », le seul « miracle » qui soit rapporté par les 4 évangélistes.
Mais justement à partir d'ici, la liturgie abandonne Marc et nous fait entendre cet épisode selon la version de Jean. Celui-ci écrit longtemps après les autres, il a pu, avec sa communauté, méditer plus en profondeur la vie de Jésus et la signification de ses paroles et de ses actes : aussi a-t-il  considérablement enrichi et allongé cet épisode jusqu'à en faire un long chapitre de 71 versets. Il ne faudra pas moins de 5 dimanches pour le lire en entier. C'est dire à quel point le sujet est capital.

Jésus était passé de l'autre côté du lac de Tibériade (mer de Galilée).Une grande foule le suivit parce qu'elle avait vu les signes qu'il accomplissait en guérissant les malades. Jésus gagna la montagne et là, il s'assit avec ses disciples. C'était un peu avant la Pâque qui est la grande fête des Juifs.

Si les gens courent  derrière Jésus, c'est parce qu'ils l'ont vu opérer des guérisons et ils en redemandent encore : foi superficielle et fausse que Jean récuse car elle met Dieu au service de l'homme. C'est pourquoi il ne parle jamais de « miracles » : il dit toujours que ces actions spéciales de Jésus sont des « signes ». L'important n'est donc pas le geste qui bloque le spectateur dans une admiration stérile mais la « signification » qu'il comporte : le spectateur (ou le lecteur) doit dépasser l'étonnement ou le scepticisme pour se laisser interpeler et convertir. Ainsi voir un paralytique guéri n'a de sens que si moi-même je me laisse relever afin de me mettre en marche vers le Royaume. Il en ira de même ici pour la distribution des pains.
Jean, comme Marc, signale que la scène se passe à l'écart, loin du lieu de vie habituel, il ajoute « sur une montagne », et il précise le moment : peu avant la Pâque, la grande fête de printemps qui commémore la libération d'Egypte, le passage de la mer, le don par Dieu de sa Loi (sur une montagne), et la marche du peuple dans le désert où il fut nourri par la manne mystérieuse. (Exode 12 à 16)
Déjà toutes les harmoniques du texte sont perceptibles à qui connaît cette histoire pascale.

Jésus leva les yeux et vit une foule nombreuse venant à lui. Il dit à Philippe : «  Où pourrions-nous acheter du pain pour qu'ils aient à manger ? ». Il disait cela pour le mettre à l'épreuve car il savait ce qu'il allait faire. Philippe répond : «  Le salaire de 200 deniers ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain ! ». Et André dit : «  Il y a là un petit garçon qui a 5 pains d'orge et 2 poissons...mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ? ! »

Les gens n'ont rien demandé : pourquoi donc Jésus se préoccupe-t-il de les nourrir et prend-il l'initiative de leur offrir à manger ? Serait-ce que nous sommes peu conscients du désir profond qui nous constitue et peu enclins à prier Jésus d'y répondre ?

Quant aux disciples, ils ont des réactions bien humaines, à courte vue : devant les besoins énormes, ils pensent tout de suite à la somme d'argent qu'il faudrait et ils constatent une disproportion totale entre les provisions dérisoires du petit garçon et la quantité de nourriture qui serait nécessaire. Mais justement, pour apaiser notre faim profonde, Jésus ne recourt pas aux calculs des économistes et il ne requiert pas une fortune. Ce qu'il attend des disciples -de nous-, c'est d'avoir la simplicité et la générosité de l'enfant. Si nous attendons de recueillir assez de fonds pour nourrir les habitants du monde, nous n'y parviendrons jamais. Si nous refusons de donner ce que nous avons, nous nous résignerons très facilement aux malheurs qui frappent des multitudes. Jésus ne crée pas la nourriture (pas plus que le vin à Cana) : il attend qu'un petit lui présente ce qu'il a.
Es-tu ce petit ?....

Jésus dit : «  Faites-les asseoir ». Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ 5000 hommes. Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur donna; il leur donna aussi du poisson autant qu'ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : «  Ramassez les morceaux qui restent pour que rien ne soit perdu ».
Ils les ramassèrent et ils remplirent 12 paniers avec les morceaux qui restaient....

Pourquoi cette remarque sur l'herbe abondante ? Plus qu'un souci de confort des participants, il faut noter la référence évidente à la Pâque (après les pluies d'hiver, la végétation pousse) et au célèbre psaume 23 qui déploie la parabole de la brebis : Jésus est notre Bon Pasteur.
Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer.
Sur des prés d'herbe fraîche il me fait reposer... Devant moi tu dresses une table...

Et tout à coup le ton devient solennel : Jésus PREND (les pains que l'enfant a accepté de lui donner)... REND GRÂCE (verbe grec : « eucharistein » qui a donné notre nom d'Eucharistie)...LES DONNE (geste contre toute vraisemblance ! Les autres évangiles disent que Jésus les donna aux disciples pour qu'ils les donnent aux gens. Mais Jean rappelle que Jésus est le vrai donateur de son pain !)
Ce morceau de pain offert sans payer est d'une telle qualité qu'il comble (ILS MANGERENT A LEUR FAIM) ; et le repas laisse un surplus, un RESTE qu'il ne faut pas laisser se perdre, que les apôtres doivent RASSEMBLER (et non « ramasser » qui serait plus correct !) -  de quoi remplir 12 PANIERS (le nombre même des apôtres).

A la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : «  C'est vraiment lui le grand Prophète, celui qui vient dans le monde ». Jésus comprit qu'ils étaient sur le point de venir le prendre de force pour faire de lui un Roi. Alors de nouveau il s'enfuit, tout seul, dans la montagne.

Pour les gens, il y a eu un « miracle » qui suscite l'admiration et l'enthousiasme : « Ce Jésus doit être le Messie que l'on attend, donc saisissons-nous de lui et couronnons-le. Il sera un Souverain qui guérit ses sujets et leur donne à manger gratuitement ! ».  Mais Jésus s'échappe et, dans le soir tombant, il s'enfuit, seul, dans la montagne.

Jean a raconté la scène de manière à comprendre qu'il n'y avait pas eu un « miracle de la  multiplication des pains », mais un SIGNE de l'EUCHARISTIE. Les expressions, le vocabulaire, la tonalité du récit sont clairs pour la communauté chrétienne. 
A l'écart de l'agitation, dans un coin paisible, que les disciples se rassemblent auprès de Jésus.
Sans calculer si les ressources sont suffisantes, que chacun retrouve l'esprit d'enfance et donne ce qu'il peut donner.
Alors Jésus prend notre cadeau, il dit la bénédiction à son Père, c.à.d. il le consacre, il en fait des morceaux, il les redistribue à tous ses disciples aussi nombreux soient-ils.
Ce fragment de pain rassasie chaque « communiant » : il apaise sa faim de vérité, de confiance, de solidarité, de sens, de liberté, de joie, de paix.
Et que les surplus soient conservés. Car contrairement à la manne du désert, le Pain de Jésus se garde et garde ceux qui le consomment.  Plus de crainte de manquer, plus d'appréhension pour l'avenir.
Les 12 Apôtres - l'Eglise universelle- ont la garde de ces fragments qui ne s'épuisent jamais et qui, jusqu'à la fin des siècles, nourriront le peuple universel des croyants dans sa marche à travers le désert du monde.
Oui, Jésus est notre Seigneur, notre Roi. Non à notre disposition pour satisfaire nos envies. Mais comme le Bon Berger rempli d'amour pour les siens et qui, de halte en halte, de dimanche en dimanche, rassemble sa communauté  et lui donne Parole et Pain dans l'espérance certaine du Banquet du ciel.