18e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2007-2008

Après l'important enseignement sur le Royaume (Les 7 paraboles du chapitre 13), Jésus repasse dans son village de Nazareth : il s'y heurte au scepticisme des gens qui le connaissent trop bien depuis l'enfance ("N'est-ce pas le fils du charpentier ?..."). De là il redescend vers le lac lorsque lui parvient la tragique nouvelle : le roi Hérode Antipas a fait exécuter Jean-Baptiste !

Jésus est sous le choc : l'évangile d'aujourd'hui poursuit :

Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l'écart. Les foules l'apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes.

Donc Jésus ne part pas en promenade : il souffre de la mort de Jean et il cherche un lieu de solitude avec quelques disciples. Raté ! les gens ont observé et le rejoignent quand il débarque. Mais loin de s'énerver et de les renvoyer, "il est saisi de pitié en les voyant". C'est la 2ème fois que Matthieu note cette réaction de Jésus ; il le fera encore à trois reprises et il faut traduire : " il fut bouleversé aux entrailles". Il ne s'agit pas d'une vague pitié superficielle mais d'un choc extrêmement fort : d'ailleurs l'usage de ce verbe (comme chez Marc et Luc) est strictement réservé à Jésus. C'est une émotion divine, indicible, un empoignement viscéral tant Jésus "com-patit", "sym-pathise" à nos détresses.

Voir - Pâtir - Agir. En rester à la larme à l'½il serait odieux : le sentiment vrai incite à l'acte. Touché, Jésus " guérit les infirmes". Puisque le Royaume de Dieu est inauguré, la Vie divine doit rejoindre l'homme entier. Une religion qui ne serait que rites et piété serait trop angélique. L'Eglise doit déployer beaucoup de sollicitude à l'endroit des malades et handicapés.

Le soir venu, les disciples s'approchèrent et lui dirent : "L'endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule ; qu'ils aillent dans les villages s'acheter à manger". Mais Jésus leur dit : " Donnez-leur vous-mêmes à manger". Alors ils lui disent : " ???...Nous n'avons là que 5 pains et 2 poissons !".

Les disciples désiraient goûter un peu de paix avec leur maître : aussi sont-ils excédés par cette intrusion populaire - d'autant qu'ils ont, eux, emporté quelques provisions. Mais Jésus leur enseigne que si l'on veut être son disciple, il faut se donner totalement, comme il le fait, lui, depuis le début. La "pitié" superficielle est une parenthèse, une obole, un geste consolant avant de retrouver sa petite existence tranquille : mais l'émotion qui poigne Jésus oblige à tout donner. Ceux qui s'affichent comme ses proches ne peuvent plus se réserver leurs aises, gémir sur l'état de la planète, plaindre les malheureux du Darfour ni faire la quête. Il est impérieux, sur le champ, d'ouvrir ses coffres et de donner ce qu'on voulait cacher et se réserver : "Donnez-leur vous-mêmes à manger !".

Stupéfaction et réaction normale des disciples : " ???...Nous n'avons que 5 pains et 2 poissons !!!" - c'est-à-dire juste assez pour nous. Et puis il n'y a pas de proportion entre notre petit sac et les besoins de cette foule !??...

Jésus dit : " Apportez-les moi ici". Puis, ordonnant à la foule de s'asseoir sur l'herbe, il prit les 5 pains et les 2 poissons et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction, il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule. Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient, on ramassa 12 paniers pleins. Ceux qui avaient mangé étaient environ 5000, sans compter les femmes et les enfants.

On doit comprendre ce texte par son ancrage en amont et en aval.

En amont : Les détails du récit rappellent la marche des Hébreux à travers le désert. " Jésus est "sorti", une foule est dans la solitude, n'a rien à manger, on est prié de s'asseoir, on reçoit une nourriture mystérieuse (la manne)...et on est rassasié " : on remarque la situation et tout le vocabulaire de l'"Exode". Donc Jésus réitère le grand signe que les ancêtres avaient reçu jadis. Il est bien le Messie. Mais il ne faut plus attendre un produit secrété par des arbustes ni une nourriture offerte par les anges du ciel (Ps 78, 25) : à présent ce sont les disciples (nous) qui doivent d'abord donner ce qu'ils ont, sans s'inquiéter de la disproportion entre leur avoir et les besoins immenses des foules.

Et en aval : évidemment la narration évoque le dernier repas que Jésus fera bientôt à Jérusalem : ce sera au même moment, "le soir venu" ( 26, 20) et on y retrouvera les quatre mêmes verbes : PRENDRE, BENIR, ROMPRE, DONNER.

Donc à partir de là, l'épisode rejoint notre propre situation et se propage à travers toute l'histoire de l'Eglise en marche. La signification de l'acte de Jésus se révèle : une préfiguration, une prophétie de l'Eucharistie.

SIGNIFICATION DU PAIN PARTAGE

Donc soyons attentifs à la manière de raconter de l'évangéliste. Plutôt que d'accumuler les preuves historiques que Jésus a bien accompli "un miracle" époustouflant, Matthieu montre comment lui et sa communauté ont compris l'épisode et comment celui-ci garde valeur permanente.

Tout découle de la MISERICORDE, de l'émotion violente qui saisit le Christ à la vue de nos misères. "Voici ce Coeur qui a tant aimé les hommes !".

Alors il emmène les siens à l'écart, loin des fêtes du monde où l'on semble tellement se réjouir mais si souvent au détriment des pauvres et en faisant taire les prophètes (exécution du Baptiste).

Au repas du Seigneur, il n'y a plus de classes sociales séparées et rivales : ce sont même les handicapés, les éclopés, qui sont les premiers servis.

Le Christ presse ses disciples de ne rien garder pour eux, de donner le peu qu'ils possèdent. Leur pain, il le PREND...DIT LA BENEDICTION DE LOUANGE...LE ROMPT ...LE DONNE ; dans ses mains et grâce à sa prière, il devient partageable à l'infini. Ce partage n'a rien de commun avec les banquets mondains où se succèdent les mets plantureux et les vins de prestige : ce n'est qu'une modeste bouchée mais chacun reçoit la même portion car chacun revêt la même dignité inaliénable.

On gardera les restes et, un autre jour, on recommencera : ce sera toujours le même Don qui se prolongera au long de l'histoire. Chaque messe ouvre sur l'avenir, garde l'Eglise en ouverture de croissance à l'infini.

Dans l'expérience de cette rencontre - du Christ Sauveur et des autres devenus frères et s½urs dans l'amour de Dieu -, le croyant goûte une plénitude, une joie qui lui rendent fades toutes les festivités du monde. Par le Pain du Christ, l'Eucharistie, il est "rassasié", comblé de la Paix de Dieu.

Alors il comprend que, au milieu des tragédies du monde, le Christ réalise le véritable EXODE : il constitue un peuple qui pérégrine dans la pauvreté et qui reste épié par les Puissants qui s'accrochent à leurs trônes. Ainsi se multiplie infiniment l' EUCHARISTIE DU SEIGNEUR : On ne la comprend pas si on ne la voit pas comme née de l'émotion, du c½ur brisé du Christ devant nos blessures. Et elle ne tend à rien d'autre qu'à nous faire partager cet amour entre nous afin d'être unis à jamais.