Il y a quelques années, le curé d'un village expliquait en chair de vérité la façon dont s'était déroulée la multiplication des pains. « Vous vous rendez compte, frères et s½urs, dit-il, nourrir cinq hommes avec cinq mille pains et deux mille poissons ? » Au fond de l'église, un paroissien à la langue un peu fourchue s'aperçoit de l'erreur du curé et, se penchant vers son voisin, lui glisse à l'oreille de façon un peu forte, ce qui fait que toute la communauté l'entend : « C'est pas difficile, tout le monde en aurait fait autant ! ». Silence dans toute l'église et le curé est tout confus de son lapsus. Le dimanche suivant, notre bon curé de campagne décide de réparer son erreur : « L'un d'entre vous s'est gentiment moqué de moi la semaine dernière, du fait de mon lapsus. Bien entendu, je voulais dire que notre Seigneur avait nourri cinq mille personnes avec cinq pains et deux poissons et personne, là, ne peut dire qu'il en aurait fait autant ! ». « Bien sûr que si, reprit le paroissien impertinent, vous pensez, avec tout ce qui restait de dimanche dernier... ! » L'erreur de ce brave curé était peut-être de trop vouloir insister sur l'historicité d'un tel événement alors que le texte ne dit pas que le Christ multiplie mais plutôt qu'il rompt les pains. En effet, comment est-ce possible de nourrir autant de personnes avec si peu de nourriture. Si Dieu est Dieu, me direz-vous, tout est possible pour lui. Sans doute, mais n'y a-t-il pas autre chose qui se vit dans cette histoire entendue ? Quelque de plus merveilleux encore qu'un miracle à proprement parlé ? Quelque chose qui peut nous aider à avancer mieux encore dans nos vies aujourd'hui ? Je le crois. Tout d'abord cet événement se réalise dans un lieu précis : un désert, c'est-à-dire un endroit par excellence où il y a peu d'espace pour la vie, où tout semble dénué, où rien n'est véritablement possible puisque nous sommes confrontées à des étendues se répétant à l'infini. Ces dernières peuvent être belles dans leur nudité mais elles peuvent également devenir un lieu d'angoisse voire de mort si nous n'avons pas été suffisamment prévoyants. Il y a des déserts de lieu mais il y a aussi des déserts de temps. Effectivement, dans nos vies, il peut nous arriver de traverser des déserts de temps où celui-ci s'écoule au rythme de la maladie, de l'épreuve de la souffrance ou du deuil. Nous sommes face à des étendues infinies dont nous ne voyons pas toujours clairement l'horizon. Nous pouvons ressentir un vertige car ce temps précis de l'expérience où nous sommes fragilisés dans nos corps et nos âmes semble tellement aride que nous cherchons des oasis où il fait bon venir se reposer auprès de celles et ceux qui nous soutiennent dans l'épreuve par leur tendresse et leurs marques d'amour. Au c½ur de ce désert qui nous semble injuste et injustifiable puisque la souffrance n'a pas de fin en elle-même, nous voyons aussi parfois des mirages, c'est-à-dire des rêves éveillés où la vie reprend ses couleurs d'autrefois. Nos déserts peuvent ainsi devenir des lieux de désespérance si nous nous laissons entraîner dans une spirale sans fin vers les ombres de nous-mêmes. Or c'est au c½ur même de nos déserts que le Christ s'adresse à nous aujourd'hui encore. Il ne vient pas à notre rencontre lorsque tout va bien, lorsque nous ne nous posons pas de questions tellement nous nous laisserions bercer par le roulis calme de l'existence. Non, il choisit de venir nous retrouver là où nous sommes sur le chemin de notre vie, au c½ur de ce désert que nous traversons et il vient nous donner un message plein d'espérance. Il est avec nous par l'entremise de celles et ceux qui se font proches de nous ; que ces derniers portent le nom de patients, parents, amis ou soignants. Dieu vient à notre rencontre et nous convie à trouver nos forces intérieures pour continuer d'avancer. Un peu comme s'il susurrait au creux de nos oreilles : « il y a tellement plus en vous que vous n'imaginez. Il y a en vous cette nourriture qui coule, pain et poisson, espérance et vie ». Appelons alors ce Dieu présent à nos côtés. Il accepte de toujours se laisser déranger nous conte l'évangile et il répond à nos appels tellement il se laisse saisir à ses propres entrailles par la réalité de nos histoires. Traversons alors nos périodes de désert avec cette confiance indicible en ce Dieu de Jésus Christ qui, si nous le lui demandons, nous donne par l'entremise de son Esprit les forces nécessaires pour pouvoir traverser le temps de nos vies avec cette espérance que nous ne sommes plus jamais seuls. Le Père est avec nous et nous prend la main pour nous conduire au c½ur de ce lieu intérieur où se trouve la vraie vie, celle qui rassasie notre âme, notre corps et notre c½ur. Que l'espérance nourrisse notre prière. Que l'espérance ne nous quitte jamais. Et surtout, qu'elle devienne la nourriture qui nous remet debout car nous croyons en un Dieu qui donne sa tendresse et son amour toujours à profusion .
Amen