Les bons conseils ne coûtent pas chers ! Dans cet épisode de la vie de Jésus, les disciples ne manquent pas de lui en prodiguer : l'endroit est désert, il se fait tard, renvoie la foule, qu'ils aillent dans les villages, qu'avons-nous ici pour eux... Jésus, lui, entend le cri de la foule. Quand elle demande du pain, il sait qu'elle a une autre faim, celle d'un amour fidèle à donner et à recevoir. Et Jésus donne à la foule le pain de sa parole, celui qui comble toutes les faims. Quand tout le monde est rassasié, il en reste 12 corbeilles, c'est-à-dire de quoi nourrir les 12 tribus d'Israël, tout le peuple de l'Eglise et même le monde entier. C'est le sens du chiffre 5000 chez Matthieu.
Aujourd'hui encore quoi de plus facile, et de plus inutile, que de dire à l'affamé dans le désert de son désarroi « Tu aurais dû penser à t'acheter de quoi satisfaire ta faim. » Oui, il est facile de crier »haro sur la misère ou l'incapacité, quand il aurait été plus efficace d'ouvrir sa porte et de partager son pain. Il est facile de crier à l'injustice et d'exiger un meilleur partage mais il est moins facile de se reconnaître soi-même favorisé, voire nanti. Ne pourrions-nous avoir un peu de la sollicitude de Dieu qui, elle, n'est pas faite de mots mais d'actions efficaces !
A propos de cette page d'Evangile, nous parlons toujours de multiplication des pains mais le texte ne parle pas de multiplication miraculeuse mais de partage, de répartition, de mise en commun, de communion. Tout est symbole ici et n'évoque que : communauté, solidarité, service et don.
Nous sommes au désert. Là où les frontières tombent et les barrières s'estompent. Le désert est la terre des fiançailles du peuple d'Israël avec son Dieu. La foule a faim. Selon Isaïe, avoir faim c'est désirer être à l'écoute de la Parole de Dieu. Les gens sont assis. Jésus est debout. Il lève les yeux, bénit le pain, le rompt et le donne comme à la dernière cène. Le pain est le symbole de la nourriture au sens large mais celui aussi de la présence de Dieu parmi nous, de sa parole. Le poisson est l'image du chrétien et du Christ. La foule de 5000, celle de la nouvelle communauté messianique, du rassemblement du monde sauvé. Elle est un présage d'universalité.
Laissons-nous porter par le symbolisme du pain pour comprendre cet épisode car Dieu est un très grand poète. Le pain représente l'humanité dans sa condition naturelle industrieuse. Celui que nous prenons et qui est devenu le corps de Christ celui par lequel Dieu nous inocule son amour et nous divinise. L'eucharistie est à chacun d'entre nous ce que l'Incarnation est à l'humanité. Le pain ne représente pas seulement l'homme individuellement mais il symbolise toute la communauté humaine à travers aussi toute la chaîne des corps de métiers par lequel il est passé et toutes les origines diverses du blé. Toute l'humanité est mise en cause. L'hostie est le corps mystique du Christ. (l'Eglise). Le pain est image de la condition humaine, moulu et pétri comme le raisin est broyé et foulé... Tout cela signifie que nous sommes appelés à former une seule chaîne planétaire de solidarité, une multinationale de l'Amour fondée sur la diversité, l'entente et le dialogue. Cela signifie aussi qu'il s'agit de garder les yeux ouverts, de ne pas s'engourdir l'âme.
Dans les déserts de nos temps présents, les foules affamées ne manquent pas : peuples de la faim, victimes des guerres, couples en difficultés, enfants exploités, jeunes sans repères, vieillards sans présence affective. Et devant tant de misères accumulées, ne pensons-nous pas comme les apôtres : « qu'ils aillent chercher ailleurs...Ce n'est pas notre rôle...Et nous nous barricadons derrière notre impuissance pour ne plus voir, ne pas avoir mal, ne pas agir. Mais retisser, là où nous sommes des réseaux naturels de solidarité, c'est comprendre qu'il ne suffit pas de bien prier et de bien communier mais qu'il s'agit de payer de sa personne et cela d'autant plus que nous sommes mieux au courant des manques de tout de nos frères en humanité. C'est comprendre que chaque fois qu'il y a partage, par-delà nos prudences et nos principes, Dieu est là, et un Dieu comme ils en redemandent !
Il nous est peut-être difficile de percevoir ce symbolisme communautaire du Pain à l'heure du self-service ! Quand chacun avec son petit plateau repas, comme dans les avions, est obligé de manger la même quantité et de le faire tout seul. Oui, c'est tellement plus difficile de comprendre que ce serait tellement plus humain que chacun se serve selon ses besoins, chacun attentif à ce que l'autre ait ce qu'il lui faut et prêt à laisser la meilleure part pour le voisin. Alors le repas deviendrait ce que la vie devrait être, un temps où chacun donne, partage et aime.
« Faites ceci en mémoire de moi... C'est Jésus à la dernière cène dans le geste du serviteur lavant les pieds de ses disciples. Devenir comme Jésus serviteur de notre prochain. Devenir comme Jésus « la nouvelle alliance en son sang », signe de réconciliation et de pardon. Devenir l'agneau de Dieu, signe de délivrance, de confiance et d'amour. Car, on ne présentait pas à Dieu des animaux carnassiers. Ils n'étaient pas utilisés pour le sacrifice parce qu'ils étaient signe de cruauté et de peur suscitée. On ne se présentait à Dieu que dans la confiance et l'amour. On ne doit aborder ses frères que dans l'écoute attentive et le partage généreux. Et faire mémoire ! Oui, le drame qui perturbe nos relations avec Dieu c'est l'oubli. La lutte de la mémoire contre l'oubli, c'est notre foi, car la cène résume la totalité de la foi chrétienne ; louange, demande, repentance auxquelles correspondent partage, pardon et espérance du Royaume.
Ita missa est : voilà ta mission ! A nous de l'inscrire dans nos gestes et nos relations. « Si je les renvoie chez eux sans nourriture, ils tomberont en route... » Oui, l'eucharistie est vraiment notre nourriture du voyage. Elle n'est pas un luxe spirituel, ni une récompense pour chrétiens réussis, ni une friandise pour chrétiens bien-portants mais le viatique pour la route. Elle est l'aliment substantiel indispensable pour entretenir et accroître ma foi, réparer les forces perdues, éviter les obstacles et un jour me ressusciter. « Que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ garde ton être pour la vie éternelle. » Mettre en nous le corps glorieux du Christ c'est être déjà ressuscité. En communiant au Christ ressuscité, tous nos efforts de fidélité, toutes nos expressions de bonté ont un rôle dans l'édification du Royaume définitif. Car l'amour, celui qui est le contraire de la suffisance, du mépris et de l'indifférence, est toujours du côté de Dieu. Il ne peut venir que de lui et ne peut mener qu'à lui. L'eucharistie, c'est être déchargé de nos ressentiments et de nos craintes pour recevoir l'amour. L'eucharistie, c'est se reposer de nos inquiétudes dans la confiance au Seigneur, c'est dénouer les liens qui nous entravent pour accueillir nos frères, c'est disséminer nos peurs pour partager nos dons. Oui, l'eucharistie, c'est bien brûler d'amour pour que tous les autres ne meurent pas de froid.