L'évangile d'aujourd'hui fait immédiatement suite à celui de dimanche dernier : nous allons voir que l'ensemble fournit une révélation impressionnante.
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l'autre rive pendant qu'il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il se rendit dans la montagne, à l'écart, pour prier.
Le don du pain dans le désert a nettement évoqué l'exode des Hébreux en route jadis vers la terre promise. Mais pas question pour Jésus de tirer profit du miracle pour jouir d'un triomphe populaire : tout de suite après, ce rassemblement autour de lui des disciples et de la foule éclate. Il ordonne aux siens de rentrer à Capharnaüm, seuls, en barque et il commande aux gens de retourner chez eux en longeant le rivage du lac. Cela fait, Jésus monte dans la montagne - symbole de la recherche du Dieu Très-Haut. Dans la solitude, il prie. Que faut-il faire ? Qu'est-ce que son Père lui dit à travers les derniers événements qu'il vient de vivre : l'assassinat de Jean-Baptiste puis ce partage du pain dans le désert ?...
Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues car le vent était contraire.
Les apôtres qui viennent d'apprendre qu'ils doivent partager leurs provisions et qu'il peuvent nourrir la foule lorsqu'ils donnent tous leurs pains à leur maître, sont affrontés à une grosse épreuve : une forte bourrasque s'est levée, de grosses vagues les empêchent d'atteindre la rive. Les heures passent, et c'est la nuit interminable. Pourquoi donc Jésus les a-t-il abandonnés ?...Ils ont beau faire des efforts, être des marins expérimentés...La peur les étreint.
Vers la fin de la nuit (4e veille), Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : " C'est un fantôme !"et la peur leur fit pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla : " Confiance ! c'est moi ! N'ayez pas peur !"
Que se passe-t-il ? Jésus semble avoir changé d'état ! C'est toujours le même homme, on le reconnaît ...mais la pesanteur ne l'entraîne pas dans les flots, il tient debout sur l'élément hostile, cette mer qui, pour Israël, symbolisait toujours la force hostile, la puissance dangereuse où rôdaient tant de monstres et qui engloutissait tant de navires. On le sait, dans la Bible, la mer, c'est le mal, le danger mortel, l'abîme où l'homme coule. Or voici que l'homme Jésus surmonte le péril, il ne coule pas, il traverse la mer comme si c'était à pied sec ! Comment est-ce possible ?
Et lorsqu'il crie "C'est moi" à ses amis terrifiés, c'est la même réponse que Dieu donnait à Moïse au buisson ardent : " Je suis = C'est moi = YHWH" ( Exode 3, 6). Jésus serait-il "en condition divine" ??? Mais alors si Dieu est avec vous, n'ayez pas peur ! Gardez confiance !
Ici, Matthieu ajoute une péripétie que Marc et Jean n'ont pas :
Pierre alors prit la parole : " Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur l'eau". Jésus lui dit : " Viens !". Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais voyant qu'il y avait du vent, il eut peur ; et comme il commençait à enfoncer, il cria : "Seigneur, sauve-moi !". Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : "Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ?". Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui et ils lui dirent : "Vraiment tu es le Fils de Dieu".
S'il est vrai que Jésus peut dominer la mer, le premier des 12 apôtres, celui que Jésus a surnommé PIERRE, ROC, devrait, lui aussi, partager ce privilège. Mais en est-il capable ? Il commence, mais le doute le prend, le submerge. Il n'a pas une foi absolue, il manque de confiance...il est obligé de lancer un S.O.S....et son Seigneur le sauve...
Jésus est accueilli dans la barque tandis que subitement la tempête se calme. Les disciples tombent devant Jésus dans l'adoration et en confessant sa Seigneurie : " Vraiment tu es le Fils de Dieu".
PREFIGURATION DU MYSTERE PASCAL
Il est manifeste que Matthieu n'a pas l'intention de nous conter un tour de prestidigitateur afin d'épater la galerie. Sa narration suggère déjà le drame qui va bientôt se dérouler à Jérusalem : on peut la lire telle une préfiguration du Mystère pascal.
A la dernière Cène, Jésus refera le même geste : "Il prend le pain, dit la bénédiction, le rompt, le donne..." mais cette fois, ce Pain est sa Présence, le don total de lui-même.
Dès la sortie de la chambre, éclate la plus épouvantable des tempêtes : Jésus est arrêté, jugé, fouetté, mis à mort sur une croix infâmante et enseveli. Le groupe des apôtres est secoué par l'incompréhension, la terreur, la panique. Jésus a disparu !
Mais à la fin de la nuit, au matin du 1er jour de la semaine, soudain Jésus leur revient. Ce n'est pas possible, disent-ils, c'est un esprit, un fantôme...Mais il les apaise : " Ayez confiance ! C'est Moi ! N'ayez pas peur". Ils découvrent que Jésus n'a pas été anéanti par les flots de la mort. Sa résurrection les fait entrer dans une foi toute nouvelle.
Quant à Pierre le téméraire, il se croyait bien capable lui aussi d'affronter la mort : " Je donnerai ma vie pour toi" avait-il affirmé devant tous. Hélas, dans la cour du tribunal, sa peur l'a fait sombrer dans le triple reniement. Mais sa chute n'est pas irrémédiable : son Seigneur revient vers lui pour lui tendre la main et le sauver par son pardon : "Pierre m'aimes-tu ?".
Alors le Souffle de l'Esprit-Saint chasse le vent affreux des peurs et des trahisons. Les apôtres sont convertis : Jésus est plus qu'un maître, qu'un messie nationaliste et guerrier : ils l'adorent et le confessent comme Fils de Dieu. Remplis d'une confiance inébranlable, ils sont capables de témoigner jusqu'à donner leur vie dans le martyre.
Comprenons donc que nous vivons sans cesse le même itinéraire :
Donner ses provisions pour le partage, partager le pain de Jésus dans l'Eucharistie être ballotté par l'épreuve, la peur, les inimitiés, la solitude reconnaître dans cette nuit la présence du Christ Vivant recevoir sa confiance pour ne pas couler, le confesser, avec les autres, comme FILS DE DIEU : toute notre vie est là dans ce ""passage". C'est PAQUES !