1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2007-2008

La vérité ne se trouve-t-elle pas dans les nuances de notre belle langue française ? Je le crois lorsque je pense à l'exemple suivant. pour décrire un certain type de personne, nous dirons : « c'est un bon gros ». A ce jour, je n'ai jamais entendu quelqu'un clamer à voix forte : « c'est un bon maigre ». Il semble même que certaines personnes lorsqu'elles souhaitent parler de problèmes et ont la possibilité de choisir préfèrent aller vers une personne ayant une certaine corpulence et qui pourrait être mieux à même de comprendre les choses que d'aller vers quelqu'un de plus maigre qui peut sembler plus austère, plus sévère. Je ne prêche pas pour ma propre chapelle mais cela semble en tout cas être la réalité dans certains monastères ou communautés religieuses. Si tout ceci est vrai, je ne suis pas étonné que quelqu'un de « très » maigre ait pu dire, vu mon poids, que j'aurais des difficultés pour parler du jeûne. Je déplore une fois encore ce type de jugement quelque peu hâtif. En effet, je suis très à l'aise pour en parler puisque j'ai la distance scientifique nécessaire pour le faire. Je crois donc que les propos de cette personne grande et maigre étaient de la pure jalousie.

Au-delà de ces quelques considérations légères, je voudrais avec vous, ce matin, m'arrêter sur les bienfaits du jeûne puisque le Christ l'a vécu durant quarante jours nous rappelle l'évangile. Très vite, lorsque nous avons la chance de pouvoir vivre un temps de jeûne, nous découvrons des manques. Et ces derniers sont essentiels pour nos vies. Me revient en mémoire cette histoire de Lacan qui assistait à un colloque sur sa propre pensée. Au fur et à mesure des interventions, il avait l'impression que tout avait été dit, que tout était comblé, qu'il n'y avait plus lieu d'ajouter quelque chose. Dans sa conclusion, il dévoile à l'ensemble des participants cette réalité : « en vous écoutant, j'ai ressenti que le manque commençait à me manquer ». Il n'y a rien de plus terrible lorsque le manque nous manque. Cela signifie que nous sommes devenus pleins de tout. Il n'y a plus aucun espace en nous. Nous nous confrontons alors au comble du manque, c'est-à-dire le manque du manque tellement celui-ci est comblé. Il est vrai que cette situation peut nous rassurer. En effet, il n'est pas toujours facile de marcher au milieu de son propre désert marqué par tant de vide. Nous pouvons être épris d'un certain vertige. Il en va d'ailleurs du désert comme du jeûne. Ce dernier ne concerne pas seulement la nourriture. Il nous est effectivement loisible de jeûner de tant de chose. Dans un hôpital, combien d'entre nous ne sont-ils pas confrontés au jeûne de la santé. Elle vient à manquer et nous cherchons à la restaurer. Un tel jeûne nous fait également entrer au plus profond de notre être, vivre une certaine forme de retraite intérieure pour retrouver l'existentiel de nos existences. L'épreuve de la maladie, de la perte d'un être cher peut nous laisser un grand vide tout en nous ramenant à nos manques essentiels. Il est vrai que certains ne pourront plus jamais être comblés et qu'il y a une forme de béance en nous. Dans la foi, osons alors croire et espérer qu'au plus profond du fond de nos manques, nous ne sommes pas seuls. Par l'exemple de cet épisode au désert, le Christ s'invite au c½ur de nous-même. Il est cette présence discrète, respectueuse, un souffle fragile qui vient susurrer au creux de notre ombre : « non, tu n'es pas seul, je suis avec toi car je suis descendu au creux de tous tes manques. Je reconnais cette béance qui t'habite et je m'autorise à venir m'y reposer pour qu'un jour, à ton rythme, lorsque tu le sentiras, tu pourras toi aussi vivre de ma présence au c½ur de ton coeur ». De manière symbolique, le tentateur de l'évangile ne permet pas ce temps de ressourcement. Il nous enferme en cherchant à nous combler de faux besoins. En effet, par rapport à la première tentation, le Christ nous rappelle que tout être humain a plus besoin d'amour que de nourriture. A la seconde tentation, Jésus nous demande de ne pas entrer dans un processus de négociation avec le Père. Celui-ci se vit en nous au plus intime de notre intimité. Enfin, le refus de la troisième tentation est de reconnaître que notre Dieu qui s'est révélé en Jésus-Christ est un Dieu qui s'agenouille auprès de nous en étant cette présence toute intérieure qui illumine nos manques véritables d'une espérance que rien ne pourra jamais venir éteindre. Entrons alors ensemble dans ce merveilleux temps de Carême, il est pour chacune et chacun de nous, où que nous en soyons dans nos vies, ces jours offerts pour que le manque nous ramène toujours vers l'essentiel de notre histoire, c'est-à-dire l'amour.

Amen