Alors que les théories de Freud commençaient à être connues, une équipe médicale de Bavière décida de les défier. Pour ces médecins, il était évident que l'être humain n'a besoin que d'assouvir ses besoins élémentaires de manger et de boire pour pouvoir exister. Le reste, comme le psychanalyste le prétend, n'est que pur construction théorique de l'esprit. Afin de démontrer la validité de leurs propos, l'équipe médicale décida de faire une expérience sur cinq bébés qui venaient d'être abandonnés par leurs parents. Ils donnèrent comme injonctions aux infirmières de donner le biberon à ces bébés tout en leur interdisant de les regarder, de leur sourire, de leur adresser la parole et enfin de montrer un quelconque signe de tendresse. L'être humain a juste besoin d'être nourri, pensaient-ils. L'expérience tourna au cauchemar. En effet, après seulement un mois, les cinq bébés moururent. Après le décès du troisième, ils décidèrent d'arrêter cette dramatique expérimentation mais il était déjà trop tard et les deux derniers bébés se laissèrent mourir. Aucun être humain ne peut donc se contenter seulement de nourriture. Nous ne pouvons pas être réduits à notre animalité. Nous sommes les sujets de notre devenir et notre humanité prend sa source dans la relation, dans la rencontre. Toutes et tous, nous avons un besoin vital et légitime d'aimer et d'être aimé. Sans amour, je ne suis pas seulement une cymbale retentissante, comme l'écrit Saint-Paul. Non, sans amour, je ne peux pas exister. L'amour est notre nourriture première, notre combustible pour vivre et avancer. Aucun devenir de notre être n'est possible, si l'amour n'en est pas le moteur. En effet, la naissance à soi naît par la parole. Nous sommes des « parlêtres », pour reprendre l'expression de Denis Vasse. La parole nous fait exister. Par elle, nous sommes reconnus. Je suis et je deviens par une simple parole. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Il ne s'agit donc pas de grands discours théoriques, d'élucubrations incompréhensibles. La parole s'inscrit dans la douceur d'un regard, s'origine dans la tendresse de mots prononcés. Elle n'existe jamais pour elle-même mais plutôt pour faire naître d'autres à eux-mêmes. En ce sens, nous touchons les fondements de tout « parlêtre ». Prenons l'exemple suivant : comment sais-je avec certitude que je suis un être humain ? Tout simplement parce qu'à un moment donné de mon existence quelqu'un me l'a dit et m'a reconnu comme tel. La parole est donc bien essentielle pour que je puisse pleinement me sentir moi-même humain. Parler, se raconter fait des nous des êtres vivants. En conséquence, nous avons toutes et tous besoin de communiquer les uns avec les autres et il existe tant de moyens différents pour le faire. Grâce à l'informatique, nous sommes même passés du bavardage au clavardage, c'est-à-dire cette possibilité de communiquer par les claviers de nos ordinateurs. Nous cherchons tous les moyens possibles et imaginables pour se parler. C'est sans doute pour cela que cela nous fait si mal lorsque la parole n'arrive plus à circuler, que le communication est éteinte. N'est-il pas vrai que, les gens, pour les effacer de notre c½ur et de notre mémoire, il suffit de ne plus leur parler. La parole est donc bien existentielle et c'est la raison pour laquelle Isaïe nous invite en ce premier dimanche d'Avent, de nous tourner vers Jérusalem de qui vient la parole du Seigneur. Notre vie n'a de sens que lorsque nos paroles s'enracinent dans une Parole qui trouve sa source en Dieu. Une parole de vie, une parole d'amour, une parole de liberté. Vie, amour et liberté, voilà le tout de la Torah, les composantes de la Loi divine. Ces trois paroles s'interpénètrent et ne font plus qu'une lorsqu'elles s'entendent dans le c½ur de Dieu. Cette loi est une invitation constante à marcher à la lumière du Seigneur. Une lumière qui ne nous éblouit pas mais éclaire notre route. Tout simplement parce que le Dieu de Jésus se révèle à nous par sa Parole et nous fait être par elle. En d'autres termes, nous pourrions dire que cette lumière n'est pas extérieure à nous. Elle est en nous dans ce lieu précis où Dieu inhabite en chacune et chacun de nous par l'Esprit. Il ne s'agit pas d'un éclair, mais plutôt d'une lumière toute douce, à la fois présente et qui s'efface devant nous pour que nous reprenions nous-même le flambeau afin d'éclairer à notre tour celles et ceux qui croiseront notre route. Notre parole se diffuse de tellement de manières différentes : un mot, un geste, un regard, voire un silence. Tant de modes nous sont proposés pour que nos paroles se dévoilent là où nous en sommes sur notre chemin, c'est-à-dire assis, debout ou couché. Peu importe notre position, notre état de santé. Ne devenons pas des muets de la vie mais plutôt des « parlêtres » qui rayonnent de la Parole de Dieu : une parole de vie, une parole d'amour, une parole de liberté.
1er dimanche de l'Avent, année A
- Auteur: Cochinaux Philippe
- Temps liturgique: Avent
- Année liturgique : A
- Année: 2007-2008