La liturgie ne fait pas le détail en ce premier dimanche de Carême. Elle met les grands moyens. Tout d’abord, elle aborde un thème peu exaltant : le désert. C’est très beau pour les citadins d’aller passer une semaine au désert. Cela change du bruit et de la pollution, de l’agitation et de la bousculade. Voilà le silence profond et les vastes étendues désertiques. Et surtout vivement le soir qu’on prenne l’apéritif entre amis dans une tente bien climatisée. Mais l’expérience du désert est tout autre pour Jésus. Notons d’abord que c’est sa première action dans sa vie publique. Jésus passe trente ans chez ses parents. Et à peine partie de chez lui, la première chose qu’il fasse, c’est de se retirer dans le désert. Cela a de quoi surprendre. Mais le désert a de multiples significations dans la tradition judéo-chrétienne.
C’est tout d’abord le lieu de la rencontre avec Dieu. On se souvient que c’est là que le prophète Elie s’est réfugié. Il faut dire que c’était bien nécessaire. Il venait de massacrer les prêtres de Baal sur le mont Thabor. La reine Jézabel était furieuse. Elle l’a fait rechercher pour pouvoir le mettre à mort. Elie part se réfugier. Où cela Dans sa famille ? Chez des amis ? Non, il veut retourner au mont Sinaï, là où le Seigneur s’était manifesté à son peuple. C’est là qu’Elie veut retrouver l’intimité avec son Dieu, un peu comme certains couples qui refont leur voyage de noces pour mieux revivre ces beaux moments de complicité. Le désert, c’est le lieu privilégié de la rencontre, loin de l’agitation de tous les jours. Nous aussi, partons quelques instants dans le désert loin de la bousculade de tous les jours et de la pollution des milles petits détails de la vie quotidienne et allons à la rencontre du Bien-aimé.
Oui, mais me direz-vous, être seul, ce n’est pas facile. C’est dans le silence et la solitude que se réveillent tous les monstres qui sommeillent dans notre cœur. C’est alors, dans le silence et la solitude, que se réveillent la tristesse, l’angoisse, la rancune s’arrêter un instant, c’est laisse libre cours à toutes les horreurs de notre cœur. Et c’est pour cela que les moines et les ascètes sont partis dans le désert : c’est pour y combattre le diable, là où il est. Dans le désert, Jésus fut tenté par Satan. C’est pour cela que le thème des tentations de saint Antoine au désert est tellement populaire. C’est parce qu’il rejoint notre expérience humaine la plus profonde. Saint Antoine du désert, c’est cet Egyptien qui est présent comme le fondateur de la vie monastique. Il a quitté les rives fertiles et actives du Nil pour s’installer dans une grotte, seul. Il a ainsi affronté toutes ses peurs et toutes ses angoisses. C’est pour cela que l’Evangile précise que Jésus vivait avec les bêtes sauvages. Ce n’était pas seulement les lions et les chacals, mais c’était surtout les lions de nos colères et de nos rages, les chacals de nos rancunes et de nos aigreurs. Mais Jésus vivait avec ses bêtes féroces dans la paix et la réconciliation. Parce que dans le désert Jésus a retrouvé l’intimité avec son Père. Alors porté, transformé, transfiguré par l’amour et la confiance de son Père, il a pu partir et affronter la trahison de ses apôtres, la réconciliation avec les pécheurs et avec Marie-Madeleine.
Nous aussi, partons pour le désert, où nous retrouverons la tendresse et l’amitié de Dieu pour chacun de nous. Partons dans le désert pour y affronter nos tristesses et nos angoisses qui seront comme transfigurés par la lumière infinie du Bien-aimé. Alors les anges nous serviront parce que nous-mêmes nous proclamerons que le Royaume de Dieu est tout proche.