Jésus vivait parmi les bêtes sauvages, comme Noé dans son arche. Les bêtes sauvages ne sont pas le mal. Ce sont les hommes qui sont dangereux pour elles, qui représentent la sauvagerie. Il y a quelques semaines, j’ai vu un cerf s’approcher pour brouter l’herbe dans le jardin de la maison où je me trouvais. Quand j’ai ouvert la fenêtre, il a fui, de peur probablement que je saisisse un fusil.
Dans une vision, le prophète Isaïe entrevoit la création réconciliée. « Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira (…) » et il précise : « Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer[1].» Cette vision d’une paix universelle s’inscrit dans cette alliance cosmique entre Dieu et Noé, qui s’exprime dans l’arc en ciel.
Dans cet évangile, Jésus se présente comme le nouvel Adam qui vit au milieu de toutes les créatures dans un univers sans hostilité.
Comme Jésus, tout homme jeune, en découvrant les potentialités de son corps, sa force et ses besoins, doit passer par un temps d’entraînement à la maitrise de soi. Il y a un effort d’ascèse, de discipline, pour humaniser son agressivité, ses pulsions naturelles et parvenir à une certaine harmonie. Il faut apprendre à rentrer ses griffes, à se comporter autrement que dans une jungle où le plus fort tue le plus faible, où les prédateurs dévorent leurs proies.
Et comme l’humanité est blessée, il suffit pas de suivre la nature des choses, il faut aller plus avant : guérir les rancunes, les peurs réciproques, les ressentiments. Nous le voyons bien en ces temps agités : il faut retrouver un monde pacifié où l’on puisse apprécier la douceur du vivre ensemble, différents.
Voici donc Jésus dans un équilibre dynamique, qui apprend à maitriser ses faims, qui est tenté comme tout être humain, entre le règne animal et le règne angélique. Jésus vit entre les anges d’un côté et les bêtes sauvages de l’autre. Il n’est ni un ange ni un animal. Il a un corps qu’il doit soigner, une relation aux autres et aux objets qu’il doit respecter.
Il jeûne, pendant quarante jours et quarante nuits, nous dit le récit, utilisant le chiffre symbolique de la durée. Quarante jours comme il y a eu quarante ans dans le désert
Le jeûne est une pratique aussi ancienne que l’humanité. Même les animaux jeûnent instinctivement quand ils sont malades ou blessés. Il s’agit de se reposer, de se désintoxiquer, de se régénérer. Cela peut aider à retrouver une meilleure clarté d’esprit, en accompagnant une sorte « désencombrement mental » pour se concentrer sur l’essentiel.
Mais Jésus doit sortir de cet état paradisiaque. Jean Baptiste vient d’être arrêté. Le mal et sa force brute l’ont emporté sur la sagesse et la ferveur du prophète. Jean Baptiste ne sortira pas vivant de sa prison, il sera décapité. C’est pour Jésus une leçon, il peut pressentir l’issue tragique de sa propre mission.
Alors Jésus part en Galilée, pas loin de chez lui et il commence sa vie publique. Il proclame l’Evangile de Dieu, la Bonne Nouvelle : « les temps sont accomplis. Le Royaume de Dieu est tout proche. »
Il y a un temps pour tout, « un temps pour se taire et un temps pour parler[2].» Dans la Bible, il y a des temps sabbatique, un jour par semaine, une semaine toutes les 7 semaines, un an tous les 7 ans…Il peut être important, pour nous, de prendre un temps de retrait, de vivre, comme Jésus, un moment de désert, de retrait, dans un cadre différent, pour retrouver l’essentiel, pour redéfinir nos choix.
Ce carême peut être pour nous l’occasion Prendre de vivre un jeûne, pas seulement de nourriture mais en tout cas un jeûne de consommation, pour vivre le manque, pour retrouver le sens du vrai désir, pas celui que les autres veulent pour nous, pas celui de la publicité, pas celui du groupe qui nous entoure et qui cherche à nous instrumentaliser, rencontrer le désir du Père qui nous a créés pour être vraiment vivants dans un monde de droit, de justice et de paix.