1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 1998-1999

Satan ou Serpent ? Démon ou Ange déçu ? Tentateur réel ou fruit d'une illusion personnelle ou collective ? Je n'en sais trop rien. En tout cas ce qui me paraît clair dans les deux récits bibliques où il intervient, c'est qu'il est ennuyeux, voire même répétitif. Quel manque d'imagination, quelle pauvreté créative, de quoi presque pleurer face à une telle médiocrité et j'en arrive presque à avoir pitié de lui. Non pas une pitié de compassion mais une pitié avec un brin de mépris. Vous me direz, c'est mal de penser comme cela surtout en carême. Je vous répondrais, vous avez sans doute raison, mais le dimanche comme ce n'est pas carême laissez-moi en profiter un peu.

Qu'il existe ou non, je vous le disais, je n'en sais trop rien, et je dirais même que personnellement je n'y crois pas trop. Mais au-delà de sa propre réalité, ce qui reste effrayant c'est que ce qu'il représente reste hélas, toujours et encore, trop bien présent dans nos vies : le désir de dominer, le désir de maîtriser, voire même le désir d'écraser l'autre pour mieux exister. Dans le récit évangélique, le Tentateur propose par trois fois des occasions de maîtrise : changer les pierres en pain, tenter Dieu pour qu'il sauve et encore, recevoir tous les royaumes du monde avec leur gloire. En éprouvant de la sorte Jésus, il ne fait que répéter l'histoire d'Adam et Eve dans le récit de la Genèse. Ces derniers vont goûter du fruit de l'arbre pour devenir comme Dieu, pensaient-ils. C'est-à-dire avoir ainsi la connaissance totale de l'autre, la connaissance totale du Tout Autre en devenant son égal puisque Dieu sait tout, Dieu connaît tout, Dieu domine tout, pensaient-ils naïvement. Désir de dominer et voilà qu'à l'instant même où ce désir précis se réalise, ils découvrent qu'ils sont nus. Dans ce récit, comme dans la vie d'ailleurs, entre personne qui se connaissent, le partage de la nudité est signe de confiance. Si je suis nu, face à toi, je me montre tel que je suis, je n'ai plus rien à cacher, à te cacher. Je deviens profondément vulnérable face à toi. Et pourtant ma nudité ne m'effraye pas, ne m'angoisse pas, car je sais au fond de moi, que tu me respectes, que tu m'aimes. En toi, j'ai mis ma confiance, je te l'ai donnée car je sais que tu n'en abuseras pas. Tu laisses entre nous l'espace nécessaire pour que l'un et l'autre nous puissions exister et faire vivre nos différences comme des richesses qui se complètent. Cette confiance est au coeur de notre relation et ce, qu'elle soit humaine ou divine.

Et pourtant, nous dit le récit un peu plus loin, Adam et Eve vont se cacher l'un de l'autre car la confiance s'est rompue entre eux. Comment garder confiance lorsque l'on sait que l'un et l'autre veulent se dominer pour avoir le dessus. La domination, la maîtrise vont tuer la relation. Cette dernière ne peut se vivre et grandir que dans l'abandon réciproque né d'une confiance mutuelle et inaltérable. Si je te domine car je crois que j'existe mieux, que je suis vraiment quelqu'un, un jour je découvrirai dans ma solitude intérieure que je ne suis qu'objet d'admiration. Par contre, si j'accepte de m'abandonner et de faire le pari de la confiance, un jour je découvrirai, tout autant dans ma solitude intérieure que je suis un sujet d'amour. La domination tue la relation, l'abandon l'a fait vivre. C'est ce que l'histoire tant de la Genèse que de l'évangile tente de nous démontrer. Le Dieu de la Genèse n'est pas un Dieu de la maîtrise, le Jésus de l'évangile n'est pas un Dieu de domination. Et pourtant, croyons-nous ils sont tous deux Tout puissants. Mais leur toute puissance, n'est peut-être pas cette toute puissance à laquelle nous croyons, une toute puissance de domination. Dieu qu'il soit Père ou Fils, ils sont tous deux signes d'une maîtrise maîtrisée, c'est-à-dire d'une puissance de douceur, d'une puissance de tendresse. C'est cette puissance-là, et seulement celle-là qui fait vivre et qui permet d'aimer. Que cette puissance de douceur et de tendresse nous accompagne tout au long de ce carême.

Amen.