1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

GRÂCE AUX TENTATIONS, LA FOI SE RENFORCE

Au carnaval, le monde se déguise et se masque, s'enivre et s'empiffre, s'esbaudit et se trémousse : il se bat les flancs pour se persuader qu'il est heureux en outrepassant les limites et en faisant le fou.
Tout au contraire, pour le carême, Jésus propose à ses disciples de quitter leurs oripeaux, d'enlever leurs masques, de se livrer, nus et libres, à Dieu. C'est pourquoi nous reprenons ce chemin non pour comptabiliser des petites privations mais pour chercher la vérité. Non pour prendre un air renfrogné mais pour manifester la joie de la foi.  Non par dédain de l'humanité qui s'amuse mais pour l'aider à se remettre debout dans l'honneur de la liberté.

« FILS DE DIEU » : QUE FAIRE ?

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon.
A l'issue de son baptême par Jean, Jésus a reçu la confirmation de son identité (Fils bien-aimé du Père) et le don de l'Esprit l'a investi comme messager, colombe de la paix. Il a compris et accepté la mission d'inaugurer sur le champ, comme Messie, le Royaume de Dieu chez les hommes. L'appel était net, impérieux mais ne précisait rien de la méthode et des moyens à utiliser: aussi, à l'écart de tous, Jésus va réfléchir dans la terrible solitude du désert. L'Esprit l'y pousse précisément parce qu'il se doit de reprendre l'itinéraire de son peuple qui, jadis baptisé (plongé) dans les eaux de la mer Rouge, s'était enfoncé dans le désert du Sinaï pour y subir l'épreuve du feu. Qu'est donc ce « démon » dont la voix doucereuse succède à la douce voix du Père  et dont la figure n'est en rien précisée ? La vocation divine n'est pas un automatisme : les tentations ne sont pas un péché mais la conséquence de notre liberté.

1ère TENTATION : QUELLE FAIM ASSOUVIR ?


Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha et lui dit :   « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit : « Il est écrit : 'Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu».
La durée du passage est symbolique : elle rappelle celle du séjour de Moïse sur le Sinaï et évoque les 40 ans d'Israël au désert pendant lesquels le peuple se plaignait sans cesse du manque d'eau et de nourriture. La tentation touche donc à l'essentiel : il faut manger pour vivre. Mais si Jésus a faim, il cherche avant tout à accomplir sa fin, sa finalité. Le besoin de nourriture - l'entretien indispensable du corps - est second vis-à-vis de l'usage de la vie : obéir à Dieu, accomplir la mission reçue de lui. La société de consommation, la quête effrénée des nourritures terrestres toujours plus alléchantes constitue un péril mortel pour l'homme. Le carême est donc  d'abord écoute attentive de la Parole de Vérité qui fait vivre.
Se priver de dessert : peut-être ; mais surtout ne pas se priver de désert. Prendre des plages de solitude, diminuer le flux des médias. Ouvrir sa Bible, se rassembler pour échanger sur les Ecritures, les dévorer et les ruminer afin de les assimiler, puis prier en silence : notre tâche prioritaire en ce temps.

2ème TENTATION : JOUER À L'ANGE

Alors le démon l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : 'Il donnera pour toi des ordres à ses anges' et : 'Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre'».
Jésus lui déclara : Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Mais attention : le démon connaît bien les Ecritures, les psaumes et il nous attend lorsque nous ouvrons le Livre. Il y a péril à utiliser les Ecritures à notre profit, à faire de la foi un exercice de force, de la piété une performance, de l'Eglise un lieu de prodiges et de prestige. Certains chrétiens voudraient une Eglise où se réalisent des merveilles, où les croyants, blottis dans le cocon du sacré, sont transportés au 7ème ciel et y expérimentent le sublime.
« Qui fait l'ange fait la bête ». Le temple ni l'Eglise ne sont des lieux de foire et le chemin de la foi connaît beaucoup plus les affres du silence de Dieu que les extases bouleversantes. La pesanteur du corps et des institutions revendique toujours ses exigences charnelles lancinantes.
En carême, nous ne demanderons pas à Dieu de réaliser pour nous des miracles, de nous consoler par des visions éthérées qui nous aideraient à « planer » sur les saletés du quotidien. La foi n'est pas une drogue, le chrétien se débat dans la gadoue du chemin, il s'enfonce dans les ornières boueuses, il a les pieds et les mains sales. Mais le vrai danger serait de jouer à l'ange et de se retirer des affaires du monde. C'est là qu'il serait en péril de mort.

3ème TENTATION : LA VOLONTÉ DE PUISSANCE

Le démon l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer. »
Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan, car il est écrit : 'C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras'».
Alors le démon le quitte. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.
Il y a tant de malheurs et de souffrances, il est si urgent d'apporter la Bonne Nouvelle aux extrémités du monde : donc, disent certains, accumulons des biens, montrons notre force, imposons nos vérités à ceux qui vivent dans le mensonge, bâtissons des édifices magnifiques, sauvons le monde par le faste de nos cérémonies, les processions hiératiques de nos prélats vêtus de velours.
Tentation diabolique dans laquelle, hélas, notre Eglise est si souvent tombée et qui a suscité des millions d'incroyants.
Jésus bondit devant cette suggestion : Arrière la violence, le luxe, la splendeur, la corruption, l'instinct de conquête, l'idolâtrie de la réussite à tout prix, tous les instruments de satan ! Et il opte pour les moyens pauvres, la seule force de la Parole qui propose sans s'imposer, le refus de l'argent et des vanités cléricales, la priorité aux petits, aux malades, aux ignorants.
Plutôt le pardon aux pécheurs que les compromissions avec le Pouvoir. Dieu premier servi.
Cette méthode lui vaudra non le respect mais la croix (les hommes n'aiment pas qu'on les incite à la faiblesse ; ils préfèrent suivre les forts, être esclaves des idoles).  Mais le Père rendra vie à son Fils et, à la fin de l'Evangile, Jésus retrouvera ses disciples « sur une haute montagne de Galilée » et il leur affirmera : « Tout pouvoir m'a été donné sur la terre comme au ciel....» (Matt 28, 16-20) .
Parce qu'il aura refusé de recevoir du démon le règne dictatorial sur les royaumes de la terre, il recevra de son Père le règne de l'amour sur la terre comme au ciel.
Beauté et utilité du carême : il subvertit nos idées.
La vie chrétienne n'est pas privation et tristesse mais enrichissement et joie de la Parole de Dieu
Elle n'est pas évasion dans le ciel et quête du merveilleux mais fidélité au quotidien
Elle n'est pas déploiement de puissance mais force de la faiblesse de Dieu.