2e dimanche de Carême, année A

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

SON VISAGE QUI EST LUMIERE SUR LA CROIX

Dès sa vocation reçue au baptême, Jésus s'est enfoncé dans une longue retraite afin d'y décider les grands axes de la mission reçue de son Père. Rejetant les suggestions habiles mais perverses, il a opté pour le primat de la prière, le rejet du merveilleux, le refus de la violence et, tout seul, pauvre, sans moyens, il s'est mis à circuler à travers son district de Galilée, proclamant que Dieu vient inaugurer son règne de douceur et de fraternité, qu'il importe donc de modifier ses comportements et de croire cette Bonne Nouvelle. En outre il a guéri quelques malades et handicapés.
Quelles ont été les réactions devant cette manifestation inattendue ? Les foules se pressaient pour écouter ce remarquable prédicateur qui semblait annoncer la libération prochaine à un peuple opprimé. Mais surtout on venait implorer des guérisons et assister à des miracles (« L'important, c'est la santé, n'est-ce pas ? »). Quant à obéir à l'injonction de la conversion et du changement nécessaire, il en était beaucoup moins question : on attendait un bonheur sur un plateau, sans effort.
Mais d'autre part Jésus se heurtait à la résistance farouche des pharisiens et des scribes, modèles de piété et de connaissance des Ecritures : « Pour qui se prend ce Galiléen inconnu ? De quel droit parle-t-il de la sorte ? Ses prétendues guérisons ne sont-elles pas l'effet d'une magie diabolique ? »
Les mois passent et Jésus rencontre toujours les mêmes réactions : d'un côté acclamations superficielles et demandes de santé, de l'autre opposition rageuse. Que faire ? Il prend alors sa seconde décision capitale, celle qui va désarçonner complètement ses disciples : « Jésus commença à montrer qu'il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des autorités et ressusciter ». Et à nouveau il fait la rencontre du diable en la personne du premier de ses disciples, Simon-Pierre, qui veut lui barrer la route. Mais il le rejette avec violence : « Arrière satan ! » (16, 21-23) et il annonce le seul chemin pour rester disciple : renoncer à son égoïsme, prendre sa croix et le suivre.
A ce moment, Matthieu poursuit son récit par l'évangile de ce dimanche en enchaînant par une notation chronologique importante mais qui est supprimée dans la lecture liturgique : « 6 jours après ».

JESUS TRANSFIGURÉ

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Annonce de la Passion et Transfiguration sont donc intimement liées : c'est à cause de la première que la seconde a lieu. L'illumination que connaît Jésus n'est pas une extase gratuite, un phénomène miraculeux qui survient tout à coup à un mystique comme une récompense. C'est parce que Jésus vient de consentir à aller jusqu'au bout de sa mission, que le Père confirme sa décision et lui offre un gage de son issue lumineuse.
Lorsque Jésus a accepté et annoncé sa passion inéluctable, son visage devait être livide en imaginant l'horreur de la croix et en réalisant que c'était ses propres frères qui allaient le précipiter dans cet abîme. « Six jours après », son Père lui manifeste son amour : il n'arrêtera pas la haine des hommes mais son « Fils bien-aimé », anéanti et jeté dans les ténèbres, resurgira dans la lumière divine.
Le Visage transfiguré sur la montagne apparaît en surimpression sur la pauvre Face ensanglantée du Golgotha. Moment fugitif que les 3 apôtres interpréteront plus tard : le Serviteur rejeté et tuméfié est bien le Seigneur de Gloire.
L'effet de clarté sur la face et le vêtement est fortement accentué pour montrer que Jésus a une condition infiniment supérieure à celle de Moïse qui, à la réception de la Loi sur le Sinaï, avait un visage rayonnant (Ex 34, 29)

NE PAS CONSTRUIRE UNE MAISON POUR DIEU MAIS ÊTRE SA DEMEURE

Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui.
Le Législateur qui avait donné la Loi fondamentale et le Prophète véhément, champion de la lutte contre les idoles, reconnaissent Jésus comme l'aboutissement de leur itinéraire et ils l'approuvent. Nous, nous avons utilisé la force pour imposer nos vues, constituer un peuple à part des autres et supprimer les ennemis : Toi, tu viens dans la douceur, tu es rempli d'Esprit, tu accomplis la Loi, tu donnes ta vie et apporte à tous les hommes l'Amour de Dieu qui est ton Père.- et leur Père miséricordieux.

Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie ». Il parlait encore, lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d'une grande crainte. Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts. »
Au Sinaï, seul Moïse avait eu un contact direct avec Dieu, seul il avait le visage rayonnant et il était descendu avec l'ordre de Dieu de lever une contribution chez tous les fils d'Israël : « Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai parmi eux » (Ex 24, 8).
Lorsque Jésus est glorifié, c'est l'inverse : Dieu lui-même, par son Esprit (symbolisé par la Nuée), vient recouvrir et rassembler tous les disciples, gratuitement, dans l'unité de son amour. En effet si, à la Transfiguration, cette expérience est réservée aux 3 grands apôtres, elle est destinée à être vécue par tous les disciples de Jésus à travers tous les temps.

Simon-Pierre qui voulait « un christianisme sans croix », comme dit notre pape François, tombe dans une série de fautes :
-    il sépare Moïse, Elie et Jésus, c.à.d. la Loi, les Prophètes et l'Evangile, c.à.d. la Loi et la Bonne Nouvelle, c.à.d. Israël et l'Eglise  - alors qu'il n'y a qu'une seule Révélation progressive ;
-    il croit honorer Jésus en l'enfermant dans un sanctuaire (un tabernacle) - alors que le Fils du Père veut demeurer dans la vie et les maisons de tous ses frères ;
-   comme ses successeurs Pontifes, il projette de dresser des édifices sacrés, des églises - alors que Dieu veut constituer une Eglise, communauté universelle des peuples (car il est plus facile de bâtir une cathédrale que de s'accueillir les uns les autres dans une communauté vivante)
-   il rêve de prolonger son bonheur en arrêtant le temps, en se réfugiant dans la bulle d'une piété désincarnée - alors que la lumière de la contemplation n'est offerte que pour oser redescendre dans la vie ordinaire et s'élancer au risque de la croix.

Le Père répète, cette fois à l'intention des apôtres, ce qu'il avait murmuré à Jésus lors de son baptême : « Jésus est mon Fils (le messie du psaume 2, 7) bien-aimé (comme Isaac en Gen 22, le fils voué à la mort mais épargné),  « celui qu'il m'a plu de choisir » (le Serviteur de Is 42, 1).
Mais  ici il ajoute : « ECOUTEZ-LE ». Or Jésus est silencieux depuis le début de la scène ! Donc cette exhortation ne peut que renvoyer à l'enseignement qu'il a donné « 6 jours avant » : je donnerai ma vie et vous aussi, si vous me suivez. Cette révélation, qui avait scandalisé les disciples, et notamment Pierre qui s'y était violemment opposé, est tout à fait exacte et nécessaire: faites confiance à mon Fils, obéissez-lui, suivez-le sur le chemin qui, par la croix, conduit à la Gloire éternelle.
Voix du Père, Nuée englobante de l'Esprit et, au centre, Jésus, le Fils bien-aimé, unissant peuple de l'Ancienne Alliance et Eglise de la Nouvelle : la scène majestueuse manifeste le mystère de Dieu Trinité et celui de l'Eglise assumée dans la Lumière  divine.
Entrevoir aujourd'hui le Visage lumineux de Jésus nous permet de continuer à le suivre en ce carême, image de notre vie : oser aller vers le vendredi du Golgotha pour passer dans la Lumière de Pâques.