1er dimanche de Carême, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012


Un membre de notre assemblée me disait la semaine passée qu'il appréciait les célébrations des dominicains ici à Saint-Jean, tout simplement parce qu'elles ne sont pas trop longues ! Je vous laisse décider si cette phrase est un compliment ou non... Cette page d'Evangile que nous venons d'entendre est probablement la plus courte des trois années liturgiques. Courte, mais très dense. Son auteur ne nous fait pas une longue description des tentations de Jésus, comme le font Matthieu et Luc. Le décor planté par Marc est tout simple : un désert... des bêtes sauvages et des anges.

Un désert, tout d'abord. Spontanément, le désert peut évoquer la solitude, le manque, la privation, voire la stérilité. Mais pourquoi alors, y être poussé par l'Esprit ? Le désert que nous sommes invités à fréquenter durant ce temps de Carême n'est pas ce désert de solitude. Le désert est justement ce lieu où on ne peut survivre tout seul. Il est ce lieu où nous reconnaissons que nous avons besoin d'un autre, d'un guide, d'une main pour nous conduire ; c'est un lieu où nous nous sentons dépendants. Le désert est ce lieu d'intériorité où nous ne pouvons mentir, ce lieu que nous évitons parfois, car il nous confronte à nous-mêmes. Au désert, l'absence des choses dont nous avons besoin nous confronte à notre désir profond, au désir de ceux dont nous sommes dépendants. 
Ce désert, par où commence notre chemin de Carême, n'est donc pas le désert de la solitude, mais un lieu paradoxal, fait de liberté et de dépendance. Le désert est ce lieu de liberté où il n'y a pas de route tracée, mais où nous pouvons trouver notre propre mission, notre chemin.

Nous sommes invités à ne pas déserter notre propre désert. L'Esprit nous pousse au désert, pour découvrir dépendance et liberté. Et si le désert est ce lieu où nous avons peur de nous perdre ; il nous permet en réalité de découvrir qui nous sommes.

Dans ce désert, il y des anges et les bêtes sauvages.

Lorsque nous nous risquons à visiter ces lieux déserts en nous mêmes, il n'est pas rare d'y trouver quelques bêtes sauvages, un peu de violence, de l'égoïsme, une vague envie de domination, et des anges de toute-puissance: toutes ces choses qui en définitive nous isolent et nous empêche d'être libres.
La réaction spontanée est de fuir ces parts menaçantes et de nous tourner vers une part de nous idéalisée, angélique. C'est tout le contraire que nous sommes invités à faire.
Vivre en paix, être libre, c'est apprivoiser nos ombres sans être angélique. C'est vivre avec une animalité maîtrisée sans se croire plus haut que ce que nous ne sommes.

« L'homme n'est ni ange ni bête... » écrivait Pascal « mais le malheur veut que celui qui veut faire l'ange fait la bête »

Le véritable désert fait tomber les masques de l'ange et de la bête, des illusions et de la dépression.  Vouloir la grandeur, faire l'ange, c'est se complaire dans l'illusion de la réussite, c'est se conduire dans une peur de perdre de l'affection. Le désert nous empêche de mettre ces masques là. Mais il nous confronte aussi à la part sauvage en nous, ces parts menaçantes parce que menacées, ces zones d'ombres non apprivoisées, qui font ce que nous sommes !

Jésus vivant tant avec les bêtes sauvages et les anges nous montre un chemin d'une humanité réconciliée avec elle-même, une humanité démasquée. Une telle réconciliation ne peut se vivre que dans le désert, lieu de la rencontre au-delà de l'absence ; lieu ou les fantasmes s'effondrent, où nous pouvons vaincre celui qui nous divise intérieurement, le lieu où l'homme se découvre lui-même, 
puisqu'au désert, il n'y a pas d'ombre pour se cacher.

Vous le sentez, cette page d'évangile est riche et n'a rien à voir avec un discours moralisant sur les tentations ! Elle nous invite plutôt, sans peurs et sans idéaux, à nous nourrir et à nous restaurer, à refaire notre unité.

Si le désert est ce lieu où nous avons peur de nous perdre;
notre désert intérieur, par contre, est ce lieu où nous pouvons nous découvrir.
Alors, si vous voulez que ce temps de Carême vous soit nourrissant,
reprenez un petit peu de désert... Amen.