Le Père Maon, jésuite et professeur émérite de droit romain aux Facultés de Namur répondait toujours de la manière suivante à la question : « père, comment faites-vous, au niveau de la chasteté, pour ne pas vous laissez tenter ». C'est très simple, disait-il, ce n'est pas parce que nous sommes au régime que nous ne pouvons pas apprécier le menu. Depuis ce jour, j'ai une admiration certaine pour cet homme, admiration liée bien évidemment à l'excellent professeur qu'il était. Les tentations : vaste sujet et voilà que nous sommes invités en ce premier dimanche de carême à nous arrêter un instant sur toutes ces tentations qui quelque part donnent de la saveur à nos vies.
Il est vrai que des tentations nous en avons toutes et tous. Parfois nous succombons, parfois nous résistons. Tout simplement parce que, au plus intime de nous-mêmes, nous savons que les tentations peuvent nous apporter soit le bonheur, soit le malheur. Elles sont donc bien de deux ordres, c'est pourquoi il n'y a pas lieu de les rejeter toutes en bloc. Là maintenant en vous parlant si l'un ou l'une d'entre vous me proposait un morceau de javanais, délicieux gâteau, je ne dirais certainement pas non et cela me donnerait du baume au c½ur. Pourquoi me priver ? Mais il existe également des tentations, qui, lorsque nous succombons, peuvent nous faire souffrir, abîmer notre intégrité, notre dignité. Ces tentations-là sont bien évidemment à éviter même si parfois nous passons par des temps d'errance plus ou moins longs. Le carême est une occasion unique qui nous est donné pour nous repositionner vis-à-vis de toutes ces tentations qui marquent nos vies. Les tentations de Jésus au désert, quant à elles, sont un bel exemple de se laisser aller à demander des moyens qui facilitent la vie par des puissances magiques. Qui d'entre nous n'a pas un jour prié pour que l'examen de mathématiques ou de toute autre branche soit facile ? Nos prières peuvent être parsemées de « Seigneur, fais que... » ou encore « que ceci se passe Seigneur et alors je m'engage à... ». D'ailleurs tout au long de l'évangile, le Christ nous invite à tout demander. Revenons alors à la dernière réplique de Jésus dans l'évangile de ce jour : « Il est dit de ne pas tenter le Seigneur ».
Tenter Dieu, écrit André Sève, c'est attendre de lui des choses qui fausseraient tout : ce qu'il est, ce que nous sommes et la vie qu'il nous donne. Nos vies sont traversées d'angoisses, de peurs, de moments difficiles et de souffrances et nous ne les comprenons pas toujours. Tant de pourquoi restent en nous sans réponse et nous aimerions bien parfois vivre une vie faite uniquement de bonheurs et de joie. Nous pourrions être tentés de demander cela à notre religion. Sinon à quoi bon venir à l'église, à prier. Si ce n'est pas pour cela, à quoi la foi peut-elle bien servir ? Je crois que cette dernière n'apporte pas des moyens et des solutions pour rendre notre vie plus facile. La foi est la possibilité qui nous est offerte de vivre à fond les moments faciles mais également les moments difficiles de nos existences. C'est-à-dire de mener une vraie vie : être le plus souvent possible au maximum de ce que nous sommes capables d'être et tirer parti de tout ce que la vie nous propose. La foi en Dieu est alors bien plus qu'un sentiment, elle est désir profond et sincère de vouloir vivre pleinement chaque instant, chaque moment parce que nous avons acquis cette conviction intime que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue et ce, malgré son lot d'incompréhension. Tenter Dieu, c'est lui demander de nous rendre la vie plus facile. Prier Dieu, c'est lui demander de me donner la force de ne jamais m'arracher à ce que la vie attend de moi. Prier Dieu, c'est espérer que l'Esprit nous accompagne pour que nous prenions chacune et chacun là où nous sommes, la vie à bras-le-corps en éveillant au maximum toutes les potentialités qui définissent l'être que je suis et que je deviens jour après jour. Et cela ne peut se vivre que dans l'amour : l'amour de soi, l'amour des autres et l'amour de Dieu.
Nous ne sommes sur terre ni pour souffrir, ni pour vivre facilement mais pour vivre intensément, en abondance. Pour ce faire nous n'avons pas besoin de magie et de coups d'éclat, juste de l'amour pour ne jamais échapper à l'effort de vivre. Que l'esprit de Dieu nous accompagne durant ce temps de carême pour que nous vivions de manière la plus intense possible cette vie donnée avec pour seul objectif celui d'aimer.
Amen.