CARÊME : LE CHEMIN DU COMBATTANT
Entrés depuis mercredi dans la période du carême, nous interrogeons : que faut-il faire ? On nous répond par des exhortations peu emballantes : nous infliger certaines privations, jeûner, participer avec générosité aux collectes du « carême de partage ». Très bien mais pourquoi ces actions ? Au préalable, avant d'obéir aveuglément à des consignes, il serait sans doute nécessaire de reprendre conscience de notre identité de baptisé : qui suis-je donc devant Dieu ? Savoir plus précisément qui l'on est incite à chercher ce que l'on doit être, donc à vérifier ses choix de vie et à opter plus décidément car nous sommes toujours devant des alternatives : faire ceci ou cela ?
Lors de son baptême, Jésus a fait une expérience bouleversante en entendant la voix de Dieu: « Tu es mon Fils ; moi aujourd'hui je t'ai engendré ». Dieu lui dit qui il est, il l'intronise afin d'inaugurer le Royaume divin parmi les hommes. « TU ES » et non « TU DOIS FAIRE CECI OU CELA». Aucune précision sur les initiatives à prendre, sur les moyens à utiliser, sur les méthodes d'action. Dieu a dit sa relation à son Fils et le laisse inventer son existence.
Sans prétexter de sa jeunesse, de sa pauvreté, de son manque total de ressources financières, de son état de petit laïc de la campagne, laissant là ses amis qui retournent au village, Jésus assume sa vocation et s'enfonce dans la solitude. Il est parfaitement libre donc placé devant des choix donc soumis aux tentations. Celles-ci ne sont pas un péché mais un test qui précise les options et renforce les convictions. Comment faire pour inaugurer AUJOURD'HUI le Règne de Dieu son Père ?...
DE QUOI L'HOMME DOIT-IL VIVRE ?
Rempli de l'Esprit Saint, Jésus quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l'Esprit, à travers le désert où, pendant 40 jours, il fut mis à l'épreuve par le démon. Il ne mangea rien et quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le démon lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Jésus répondit : « Il est écrit : « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre ».
La faim de l'homme n'est pas une servitude, un bas instinct qu'il est tenu de satisfaire tous les jours ; elle n'est pas non plus une convoitise qui tourne à la goinfrerie. En jeûnant, Jésus ne pratique pas un exercice ascétique de maîtrise de soi : il s'interroge sur ce qui fait vivre l'homme. Le pain, certes, et tous les aliments, car il a besoin de restaurer ses forces pour accomplir son travail. Mais suffit-il d'assouvir ses besoins, la satiété donne-t-elle le bonheur ? La grande cuisine la plus raffinée ne comblera jamais ce désir d'accomplissement qui est notre tension profonde. Le pauvre Vincent Van Gogh préférait la misère plutôt que d'être infidèle à son art. « Pas seulement... » : Jésus sait que l'essentiel n'est pas le menu mais la raison de vivre. Que fais-tu de cette vie que tu alimentes ? Le jeûne chrétien libère l'esprit des lourdeurs quotidiennes, aiguise la perception et permet une prise de recul afin de percevoir comment Dieu veut que nous menions notre vie et réalisions notre mission. « Ma nourriture, dira Jésus, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé et d'accomplir son ½uvre » (Jn 4, 34). Ecouter la Vérité vaut plus que manger.
Notre société, avec ses prouesses culinaires et son alimentation riche et variée, offre du plaisir, permet une meilleure santé corporelle donc une augmentation de l'espérance de vie. Mais alors pourquoi ces dépressions, ces consommations excessives d'alcools, de drogues, d'antidépresseurs, de somnifères ? Pourquoi cette somme de suicides ? On nous donne des moyens de vivre mais si peu de raisons de vivre (Paul Ric½ur). La longévité n'est pas l'éternité. Dans un régime matérialiste, l'homme étouffe.
ON NE FAIT PAS LE BONHEUR DES HOMMES CONTRE LEUR GRE
Le démon l'emmena alors plus haut, et lui fit voir d'un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m'appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela ». Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras »
L'instauration du Royaume que Dieu vient de confier à son Fils ne peut naturellement qu'être universel, planétaire. Et il y a tant de misères, tant d'injustices, tant de situations insoutenables. Ne serait-il pas bien que le Royaume de bonté s'inaugure sur le champ, que le Messie sèche les larmes, anéantisse les armements, apporte la paix ? Mais ce ne pourrait être qu'au prix de la violence, en imposant un ordre par la tyrannie, en dictant ses volontés. L'ivresse du pouvoir a enivré tant d'ambitieux ! Leur orgueil a provoqué, et provoque encore, des morts par millions, des désastres infinis, des souffrances indicibles. On ne fait pas le bonheur de l'homme contre son gré ; on ne baptise pas un peuple ; on n'outrepasse pas les délais de la liberté humaine ; on n'établit pas une religion nationale.
Jésus n'adore que son Père : c'est pourquoi il ira à pied, lentement, les mains vides mais le c½ur plein d'amour. Il ne hurlera pas des slogans pour galvaniser les siens et les envoyer à la boucherie : il parlera doucement, il respectera chaque conscience car il sera « doux et humble de c½ur » (Matt 11, 29).
Et, hélas, il sera bien scandalisé quand il verra son Eglise user de coercition, de dureté, d'intolérance, allumer des bûchers au lieu de brûler d'amour pour les hommes si dévoyés soient-ils.
LA MAGIE RELIGIEUSE
Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : « Il donnera pour toi à ses anges l'ordre de te garder ... Ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre ».
Jésus répondit : « Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu »
Après la dictature politique, la magie religieuse. Les hommes aiment le merveilleux : « Accomplis des prodiges, sidère les publics naïfs, joue au prestidigitateur qui ébahit les foules, fais des miracles, plane au-dessus des foules pâmées ». Mais le Fils de Dieu reste un homme, comme nous soumis à la pesanteur. On n'a pas le droit de braver Dieu, de le sommer de faire de l'extraordinaire : « Fais cela, Dieu, et je croirai ! ». Au contraire Jésus dira : « Je crois en toi, homme, donc fais cela ». Oui Jésus accomplira des miracles mais en petit nombre et jamais à son profit : il agira toujours par compassion afin de guérir tous ces malades et handicapés qui criaient au secours et très souvent il leur demandera de ne pas divulguer ses bienfaits pour ne pas être confondu avec un guérisseur.
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Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon s''éloigna de Jésus...jusqu'au moment fixé.
Ces trois sollicitations résument toutes les autres et reviendront vivaces. Le combat n'est jamais terminé. Appuyé sur ses options de base, Jésus quitte la solitude et s'en va accomplir sa mission. Mais 2 ans plus tard, au « temps fixé », « le démon » (qui est-ce ?) déchaînera ses assauts. A nouveau Jésus vaincra les trois tentations exacerbées par la haine :
Manger. Il offrira le pain à ses disciples : sa Vie.
Dominer. Il les obligera à ranger leurs armes (Matth 26, 52) et les enverra, pauvres et démunis, pour annoncer la Bonne Nouvelle de la Paix dans toutes les nations du monde.
Planer. Il ne se jettera pas en bas de la croix, comme ses ennemis le lui demandaient (Luc 23, 35) : en mourant par amour, il les sauvera. C'est pourquoi son Père le sauvera !
CARÊME : temps de lucidité où le chrétien débusque les man½uvres qui l'éloignent de son Dieu, où il découvre les ornières dans lesquelles il patauge et où il apprend la triple réponse aux tentations fondamentales : la sobriété, la douceur, l'humilité.
Que chacun lutte de son mieux. Nos défaites seront nombreuses mais notre Chef, notre Seigneur, lui, a vaincu. Le c½ur fixé sur l'horizon de Pâques, combattons avec les armes de la foi (Ephésiens 6,10-18).