Noël ! Toute la ville se prépare à la fête et les commerces nous encouragent à consommer. Il ne me reste que quelques petites semaines pour trouver l'idée de chaque cadeau génial et pas cher, qui me permettra de faire plaisir à ceux que je voudrais honorer. De quoi ont-ils besoin ? Ou, s'ils n'ont besoin de rien, comment pourrais-je leur faire une surprise personnelle qui puisse les réjouir ? Comment rejoindre leur désir ? Comment les étonner ? Comment leur manifester mon affection ? L'amour ne peut pas se prouver, il peut quand même s'exprimer !
Ces questions là, il me plaît d'imaginer que Dieu se les pose aussi, pour nous, et que, même s'il se les pose depuis une éternité, il n'a toujours pas vraiment trouvé.
A leurs enfants, les parents peuvent donner de l'argent, pour les soutenir dans leurs projets et pour qu'ils en fassent eux-mêmes ce qu'ils désirent. Une partie de cet argent permet ainsi aux enfants de faire des cadeaux en réciprocité, et des surprises aussi à leurs parents. Car, plus que l'argent, le petit cadeau symbolique comme l'on dit, a plus de valeur que ce qu'il est. Il n'est pas seulement un objet isolé, il est signe, rappel, témoin, d'un souci et d'une affection. Tout au long de son histoire, Dieu n'a jamais cessé de faire ce genre de cadeaux à l'humanité.
Mais nous ne sommes toujours pas rassasiés... Et nous doutons toujours qu'Il existe vraiment pour nous, ou plutôt que nous existions vraiment pour Lui, ce qui revient au même, finalement. Qui suis-je pour toi ? Qui es-tu pour moi ?
Je vois donc trois degrés dans le don : je te donne des ressources pour vivre, de l'argent ou des biens... je te donne un objet particulier, un signe de mon amitié, une surprise, quelque chose que j'ai inventé dans ma tête, quelque chose de très personnel, qui devient pour toi le symbole de mon amour... enfin je ne te donne rien parce que je ce que je t'offre, cette fois, c'est « tout moi », vivant et surprenant tout le temps, ma parole, mon souffle, mon esprit, mon renouvellement permanent, ma vie, ma présence à tes côtés.
Dieu en est là. Il nous a tout donné : de quoi vivre et nous développer, des signes multipliés, et puis sa Parole, son Souffle... Il est ensuite parti, pour que ce soit vraiment à nous. Il s'est éclipsé et cette absence, c'est bien lui : cette surprise qu'il nous fait par son absence, c'est « tout lui » ! Il a disparu pensent certains. Il n'a jamais existé affirment d'autres. Il s'est effacé et nous sommes seuls, pensons-nous, pour un temps. Nous avons tout, et certains semblent s'en satisfaire. Nous avons tout et plus encore : nous avons aussi la promesse de son retour. Un retour que personne ne peut imaginer, ni prévoir. Auquel on peut se préparer. Qu'il faut éviter d'oublier. Il faut veiller.
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Qu'est-ce qu'une promesse ? Un mot que l'on n'ose plus prononcer, c'est trop électoral ! Nous connaissons le travail et le repos : le travail comme projet et le repos comme consommation. Mais veiller, ce n'est ni travailler ni se reposer.
La promesse n'est pas un projet. Le projet tend à la maîtrise des personnes et des événements, pour parvenir à un but précis, circonscrit, limité. La promesse ne fabrique aucune idole, elle ne se donne pas son objet, elle l'attend, elle espère le recevoir. Elle ne peut s'auto-satisfaire car elle est justement l'acceptation d'une frustration que seul un autre peut combler ! Elle met en éveil une espèce de sixième sens, une capacité de regarder et d'écouter : une attention au surgissement de l'Imprévisible tant attendu.
L'homme de projet se construit lui-même, il fait des calculs et tend de toutes ses forces à réaliser ce qu'il a décidé. L'homme de la promesse, lui, veille : ouvert à ce qui n'est pas encore, il s'efforce d'accueillir le don mis devant lui. Si l'humaniste fait des projets, le chrétien est davantage un veilleur. Altéré par la promesse, une déchirure s'est faite en lui, celle de l'insaisissable promis. Avec souplesse et humilité, il développe une capacité d'attention qui lui permet d'accueillir ce qui advient, Celui qui vient, comme un don. C'est ainsi que Marie conçoit l'inconcevable, et nous le comprenons, cet insaisissable, lorsqu'il se livre entre nos mains. Heureux qui peut le reconnaître à temps (Mt 25 ; Lc 24, 31) !
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Cette attention que suppose la veille s'oppose au sommeil. Elle est incompatible avec le travail quand il est aliénant, mais il est possible de cultiver cet art délicat d'être contemplatif au c½ur même de l'action.
Il s'agit d'être prêt, comme tous les parents quand ils attendent l'enfant, ou les malades le visiteur, les amoureux le rendez-vous. Veiller, c'est désirer : on peut y entraîner de nouveaux sens affectifs, les oreilles et les yeux du c½ur, pour capter les subtils messages qui nous parviennent à travers les mille et une poussières de la vie. Le don de Dieu est discret. Noël se vit dans le silence et dans la nuit, auprès des pauvres et loin des villes. Il est pudique, notre Dieu ! Il peut passer inaperçu si l'homme ne creuse, dans les profondeurs de son être, cette douce et silencieuse attente qui fait de lui un éveillé.
Comme des enfants, nous avons reçu des cadeaux, des cadeaux tout faits et des cadeaux à fabriquer, des trains, des ponts, des maisons, des instruments pour écouter de la musique ou pour en jouer. Mais au-delà des dons, n'oublions pas le donateur. Il y a quelque part le sourire de celui qui a donné ! Et ce sourire, un jour nous le verrons, comme le plus merveilleux cadeau, par-delà tous les cadeaux ! Tout ce qui est autour de nous, à portée de main, est signe, rappel, témoin que nous ne sommes pas orphelins.
Alors, nous veillons !