1er dimanche de l'Avent, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : C
Année: 2009-2010


Certains de mes frères dominicains prétendent que si vous devez m'indiquer la direction d'une
destination, il ne vous servira pas à grand chose de nommer les noms des églises devant lesquelles je
devrai passer. Il semblerait, toujours selon eux, que ma culture n'est pas très développée à ce
niveau. Par contre, si vous souhaitez que j'arrive à destination, il vous suffira de donner les noms des
restaurants se trouvant sur mon chemin. Là, je risque de ne plus me tromper. Fort de ce constat et
suite à la lecture de l'évangile, si vous devez prendre l'autoroute tout à l'heure en quittant cette église.
Je vous invite à reprendre la route en passant par le Boulevard d'Avroy et juste avant de tourner à
droite pour vous engager sur une route vous conduisant à la bretelle de l'autoroute, vous passerez
devant le restaurant Tentation où la chef Roxanne Vranken se fera un plaisir de vous proposer une
déclinaison de menus à trois, cinq, sept ou dix tentations. Chaque que j'y ai été invité, j'ai toujours
succombé à la tentation d'un de ces délicieux menus plein de créativité.
C'est donc avec un bonheur indicible que je succombe à ces tentations et je ne le regrette jamais car
je pense qu'il y a au moins trois types de tentations. Les premières, comme celles dont je viens de
vous parler, nous font du bien. Il serait bien dommage d'y résister. Au-delà de l'exemple pris, dans
nos vies, il y a de nombreuses tentations heureuses qui nous font grandir. Elles sont essentielles
pour notre accomplissement. Nous ne pouvons pas nous en passer. En effet, il est heureux que
nous soyons tentés d'entrer dans une nouvelle relation faite d'amour ou d'amitié. Il est heureux pour
un patient de succomber à la tentation de retrouver la santé. Il est heureux que nous puissions
prendre du temps pour vivre des instants de bonheur. Il est heureux que tout homme, toute femme,
cherche à s'accomplir sur cette terre. Ces tentations-ci sont de véritables béatitudes et je pense que
notre Dieu, révélé en Jésus-Christ, par son Esprit, nous invite à en vivre pleinement car elles nous font
grandir au plus profond de notre humanité.
Il y a par contre d'autres tentations qui ne nous font plus grandir. Cette deuxième catégorie de
tentations vient plutôt grossir l'ombre de certaines zones de nos personnalités. A court terme, nous
pouvons croire qu'elles nous sont nécessaires et nous font du bien. Mais, après réflexion, il y aura
lieu de reconnaître qu'à long terme, ces tentations nous déshumanisent. Elles ne participent
nullement à notre construction intérieure et à l'accomplissement de notre bonheur. Pire, elles peuvent
nous détruire de manière sournoise. Face à elles, nous avons à tout mettre en oeuvre pour résister.
Cette fois, nous chercherons à ne pas nous laisser tenter mais plutôt à nous éloigner d'elles car elles
vont venir encombrer les tréfonds de notre âme. Ce sont ces tentations-ci que le Christ va rejeter lors
de son expérience au désert. Au cours de l'histoire relatée dans l'Ancien Testament, Israël va
trébucher sur chacune d'entre elles et ira jusqu'à se perdre à chaque fois. Jésus nous invite à ne pas
nous enfermer dans une vision magique de la vie, à ne pas nous barricader dans une quête
incessante de pouvoir, à ne pas nous calfeutrer dans un désir de toute-puissance au service de nos
propres égoïsmes. Ces tentations ne nous feront pas du bien. Elles sont une illusion de notre
imaginaire et elles nous détruiront à petit feu que nous le voulions ou non. Les premières nous
faisaient grandir sur le chemin de notre humanité, les deuxièmes viennent grossir les failles de notre
inhumanité et nous conduisent vers une mort intérieure certaine.
Quant au troisième type de tentation, je me permettrai de vous proposer l'adage suivant : « pas
d'alléluia, pas de chocolat ». Je m'explique. Durant le Carême, nous ne chantons pas l'alléluia. Ce
n'est pas une simple question esthétique. Ce n'est pas non plus une privation pour une privation
comme cela avait été compris durant de nombreux siècles. Non, le fait de ne pas chanter l'alléluia,
c'est vivre l'expérience d'un jeûne intérieur pour mieux entrer dans le mystère de Pâques que nous
célébrerons dans un peu moins de quarante jours. En ne le chantant pas au cours de nos
eucharisties de Carême, nous refaisons l'expérience du manque. Non pas le manque pour le manque
mais plutôt un manque qui nous ouvre vers un ailleurs, vers un mieux-vivre. Un manque qui nous
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comble car il nous permet, dès l'instant où nous le ressentons, de revenir à l'essentiel, à l'existentiel et
pour nous, croyantes et croyants, il s'agit de la lumière de Pâques. Ces petites privations que nous
nous offrons n'ont de sens que si elles nous ramènent chaque fois vers une vie vécue au rythme de
l'amour puisque, comme le souligne le poète, l'amour est la plénitude du manque. Et c'est pour cela,
que nous cherchons à aimer l'autre et le Tout Autre afin que nous puissions les uns et les autres nous
combler et participer ainsi à la construction du Royaume de Dieu. S'il en est ainsi, alors succombons
aux tentations qui nous font grandir en humanité, rejetons celles qui font grossir nos failles ombragées
et vivons avec joie, durant quarante jours, le « pas d'alléluia, pas de chocolat » car ce jeûne tout
intérieur nous conduira mieux encore au mystère de Pâques.
Amen