Il y a quelques années lorsque quelqu'un demandait à ma maman : « comment va votre fils ? », elle se plaisait à répondre : « il va très bien et ses enfants aussi ». La personne interloquée demandait : « votre fils a des enfants ». « Oui, il en a trois », poursuivait-elle. « Mais, je pensais qu'il était prêtre », reprenait la personne de plus en plus perdue. « Ah, vous parlez de mon fils dominicain, reprenait ma maman. Il va très bien. Et lui, il n'a pas d'enfant. Enfin, pas que je sache ». Si elle s'amusait avec ce dialogue, c'est parce qu'elle voulait rappeler à son interlocutrice qu'elle avait quatre enfants et non pas un. Quatre enfants, quatre vies données ou encore quatre relations différentes à créer avec chacun d'eux.
Je me plais à imaginer que le Père des Cieux pourrait répondre de la même manière si je lui demandais : « comment va votre enfant ? ». Lequel ? me rétorquerait-il sans doute. J'en ai une multitude. En effet, dans la foi, toutes et tous nous sommes enfants de Dieu par adoption. Nous avons répondu à cette invitation personnelle d'entrer en relation privilégiée avec lui par le Fils et dans l'Esprit. Et c'est vraisemblablement la qualité de la relation que nous établissons avec Dieu qui donne la richesse d'une nourriture céleste. Lorsque Jésus nous dit que sa chair est la vraie nourriture, qu'il est le pain vivant, il ne s'agit pas d'un mélange subtil de farine et d'eau qui pourrait nous combler durant quelques heures. Non, nous entrons dans une autre dimension, celle d'une nourriture qui ne fait pas grossir mais qui fait nous fait grandir au plus profond de nos êtres tout au long de notre pèlerinage terrestre. Cette nourriture exceptionnelle nous la vivons il est vrai au cours de nos eucharisties. Toutefois, ces dernières ne se suffisent pas à elles-mêmes pour que nous soyons rassasiés. Nos eucharisties se complètent d'un autre pain, cette fois quelque peu plus substantiel et qui se pétrit dans les relations individuelles que nous établissons et que nous chérissons. En effet, au terme de ces trois années passées à l'aumônerie des Cliniques Saint-Luc, j'ai vraiment pu découvrir à chaque étage de cet hôpital ô combien chaque personne rencontrée peut devenir nourriture de vie lorsque le temps offert l'un à l'autre se vit au son de la musique de la vérité. Au cours de ces années, j'ai décelé en ces lieux une nourriture gastronomique qui non seulement nourrit le c½ur d'un être humain mais qui l'irradie d'une force intérieure de l'ordre de l'indicible, de l'ineffable. Je m'étonnais toujours lorsque des connaissances s'émerveillaient du travail de l'aumônerie et me disaient à quel point cela devrait être difficile pour nous. Je me faisais un plaisir de leur rétorquer qu'il n'en était rien car j'avais cette chance unique de pouvoir tout simplement prendre du temps pour rencontrer d'autres êtres humains. Simplement pouvoir être présent et surtout recevoir. Pour moi, toutes ces rencontres au fil des chambres et des couloirs étaient et resteront une nourriture exceptionnelle qui m'a fait mieux prendre conscience à quel point Dieu est présent en chacune et chacun d'entre nous. A vous que j'ai eu la chance de rencontrer, je m'autorise à vous dire que vous êtes le pain vivant descendu du Ciel. Fragilisés par la vie dans l'épreuve de la maladie, confrontés à la réalité de la vieillesse (en trois ans, l'abbé Terlinden, mon chef de service est quand même passé de 50 à 53 ans), ou encore éprouvés par la perte d'un être tant aimé, vous êtes nourriture de vie pour celles et ceux qui ont la chance de pouvoir vous côtoyer, mieux encore signes visible de la présence de Dieu au c½ur de notre humanité. Notre Eglise prétend qu'il y a sept sacrements. Or, si un sacrement est un signe visible de la présence de Dieu, j'ose affirmer que des sacrements, il y en a des milliards. Et nombreuses furent les rencontres sacramentelles vécues dans cet hôpital. C'est vraisemblablement dans la fragilité de la Vie que Dieu se révèle dans toute sa plénitude. Il s'offre à nous par les êtres que vous êtes et vous nous permettez alors de toujours revenir à l'essentiel, à l'existentiel. Nourris de toutes ces rencontres sacramentelles, je découvre mieux encore où Dieu se dévoile à nous chaque jour. Grâce à vous, il n'est plus nécessaire de regarder le Ciel pour le trouver, il suffit de partager un moment de fraternité dans le partage de ce qui nous traverse au plus profond de nos êtres. Dans un lieu comme celui-ci prend toute sa force la phrase de Saint Paul « car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort ». Puissions-nous chacune et chacun nous réjouir d'avoir pu ainsi croiser nos routes. Même si ces moments furent parfois éphémères dans le temps, ils sont devenus dans nos c½urs une nourriture inépuisable forgée à la source des trois ingrédients divins : la douceur, la tendresse et l'amour.
Amen