21e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009
 

Aujourd'hui nous arrivons à la double conclusion du long chapitre 6 de Jean : très choqués par les déclarations successives de Jésus, ses disciples l'abandonnent mais un petit reste s'accroche à lui.

 

  1. LA  GRANDE  DEBANDADE

 

Jésus avait dit dans la synagogue de Capharnaüm : «  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle » Beaucoup de ses disciples qui avaient entendu s'écrièrent : «  Ce qu'il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l'écouter ! ».

Jésus connaissait par lui-même ces récriminations des disciples. Il leur dit : «  Cela vous heurte ? Et quand vous verrez le Fils de l'homme monter là où il était auparavant ? ...C'est l'Esprit qui fait vivre, la chair n'est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont Vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas ».

Jésus savait en effet depuis le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et celui qui le livrerait. Il ajouta : «  Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ».

La veille encore, c'était l'explosion d'enthousiasme : quelle allégresse de suivre ce Jésus qui opérait des guérisons et même offrait du pain! Quelle fierté d'appartenir à ce leader ! Et si on le sacrait Roi ? Il nous apporterait bonheur, santé, indépendance !!...Mais la cascade de ses dernières déclarations  a refroidi d'un coup l'engouement qui  vire au refus et à la colère : «  Dieu exigerait de croire en cet homme ? Il serait le Pain de Vie ? Bien plus il donnerait sa chair à manger ?... Ec½urant, ignoble ! Tout cela est absurde, inacceptable, intolérable.... »

Jésus n'a jamais été dupe de ses succès : il perce l'incroyance, la rébellion profonde qui peut se cacher derrière de belles confessions de foi. Que sera-ce, dit-il aux gens, lorsque vous me verrez monter sur la croix et, par là même, rejoindre mon Père des cieux ? Il est évident que « la chair » ( c.à.d. tout l'ensemble des ressources humaines ) est impuissante à comprendre le sens profond de ce que j'ai dit : seul le peut l'Esprit de Dieu.

Et cet Esprit, ce sont mes paroles qui peuvent vous le donner car elles sont Esprit et Vie.

 

A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s'en allèrent et cessèrent de marcher avec lui.

 

Les annonces voilées de la mort et de l'Eucharistie ( «  ma chair donnée pour que le monde vive ...Celui qui mange ma chair et boit mon sang... ») constituent le scandale, la pierre d'achoppement. On aime les beaux discours religieux, on accepte une morale et même un programme d'ascèse, on applaudit aux miracles, on est ému par les liturgies sacrées, on jouit des bienfaits de la divinité...mais on ne veut pas se laisser guider par les paroles de Jésus.

On cherche à recevoir, à AVOIR mais on refuse d'ETRE-AVEC-LUI en communion d'amour. 

En conséquence,  la multitude de « disciples » qui suivait Jésus depuis tout un temps se détourne de lui et l'abandonne. Cela ne se passe-t-il pas encore aujourd'hui ???

Et Jésus ne fait rien pour les retenir ! Il est hors de question d'édulcorer le message, d'abaisser les exigences, d'invoquer le symbolisme ou « une manière de parler » afin de conserver beaucoup de monde près de lui. On ne remplit pas les églises par des compromis !

Il ne les condamne pas non plus. Il faut du temps pour entrer dans le mystère, pour se laisser attirer par le Père, pour comprendre que la faim de Jésus est bien plus importante que l'appétit pour les nourritures terrestres, que l'amour à recevoir par la croix est bien plus essentiel que la santé du corps.

Peut-être certains de ces renégats, un jour, feront-ils volte face et reviendront à Jésus pour communier à son Eucharistie et partager son Esprit et sa Vie ?....

 

  1. LE PETIT RESTE

 

Cependant tous ne sont pas partis : Jésus se retourne et regarde un petit groupe, les Douze !

                                                                                                    - Attention de terminer le texte amputé par la liturgie.

 

Alors Jésus dit aux Douze : «  Voulez-vous partir, vous aussi ? »

Simon-Pierre lui répondit : «  Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la Vie éternelle. Quant à nous, nous croyons et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu ». Jésus leur répondit : «  N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et cependant l'un de vous est un diable ».

Il désignait ainsi Judas, fils de Simon l'Iscariote ; car c'était lui qui allait le livrer, lui, l'un des Douze.

 

La foi n'est jamais embrigadement : Dieu ne veut pas des esclaves mais des enfants qui optent librement pour lui. On ne force pas la confiance.

Ces hommes qui restent ont-ils compris toute la portée des enseignements de Jésus ? Certes non. Mais, comme Pierre l'exprime au nom de tous, qui rejoindre si l'on s'en va ? Un  rabbin pour apprendre les lois ? un chef de bande pour préparer la révolution armée ? un artiste pour goûter la beauté ? un philosophe pour chercher la sagesse ? un savant pour comprendre le fonctionnement du monde ? un banquier pour gagner plus d'argent ? ...Qui donnera SENS à notre vie ?...

Seul, Jésus dit les Paroles qui offrent sens, lumière, vérité, Vie.

Oui, dit Pierre, nous avons écouté, réfléchi, discuté, prié : non seulement tu AS les paroles vivantes mais tu ES le Consacré de Dieu (6, 27 ; 10, 36)

Néanmoins si belle soit-elle, la profession de foi n'est pas ½uvre humaine (« la chair ne sert de rien »). Si ces hommes demeurent avec Jésus, ce n'est pas à cause de leur intuition personnelle : le choix de Jésus les précède. Mystère de l'acte de foi : entièrement de l'homme, option suprêmement libre, mais toujours par initiative divine ( cf. encore en 15, 16).

 

En outre il ne faudrait pas diviser le monde en bons croyants et mauvais incroyants, en incrédules et bons disciples. Au c½ur même des Douze, il y a le mal. Sans le nommer (au dernier repas non plus : 13, 21), Jésus sait qu'un traître est là dans la bande. Il ne l'a pas choisi pour qu'il le trahisse : mais son choix ne supprime jamais la liberté. Le croyant peut toujours virer de bord.

 

Cet homme s'appelle YEHOUDA (Judas en français), nom qui vient de « YHWH-YÔDA » qui signifie « louer Dieu » ( Genèse 29, 35 ) : ainsi celui qui avait été nommé pour vivre « à la louange de Dieu » va trahir son maître. Mais Jésus, sa victime « livrée », va lui-même « se livrer » par amour des hommes et dans cet amour, il fera communier ses amis à sa chair et à son sang. Il demeurera en eux et eux en lui (6, 56) si bien qu'ils seront la nouvelle humanité qui pourra vivre A  LA LOUANGE DE DIEU, « eucharistiquement ». Le « judas » est l'ouverture qui jette un jour sur la Miséricorde Infinie !   

 

Curieusement, dans son récit du dernier repas,  S. Jean ne rapportera pas l'Institution de l'Eucharistie : il la remplacera par le lavement des pieds - geste du même symbole (abaissement de Jésus pour la purification des siens). Mais Jean a accroché la révélation de l'Eucharistie à la multiplication des pains. Ainsi d'une part il a pu la montrer comme la manne infiniment supérieure qui permet au peuple croyant de poursuivre sa pérégrination dans la pauvreté et parmi les détresses. Et, d'autre part, il manifeste clairement le lien et l'abîme entre le geste humanitaire (donner du pain) et le partage du Pain de Vie : si le premier suscite l'émerveillement des gens, il faut qu'il enchaîne sur la proposition scandaleuse du « Pain qui est chair à manger ».

Quitte à refroidir l'enthousiasme de la foule et à l'entendre « murmurer », critiquer, détester ce qu'elle annonce, l'Eglise ne peut se taire sur l'essentiel : le mystère pascal de mort et résurrection se proclame dans la Parole de l'Evangile et se mange dans la Chair et le Sang de Jésus pour s'intérioriser dans le c½ur du croyant.

Le petit garçon généreux du début, qui a d'abord donné ses pains, doit devenir le Pierre de la fin qui ose demeurer avec Jésus, même si tous les autres s'en écartent et même si le mal rôde dans l'Eglise.

                                                       « Seigneur, à qui irions-nous ?... »