22e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2008-2009
 

Sauver son identité chrétienne

 

Après les 5 dimanches vécus avec S. Jean, nous reprenons aujourd'hui l'évangile de Marc avec une scène de controverse entre Jésus et les Pharisiens. Au premier abord, l'enjeu nous en paraît dépassé mais nous verrons qu'il s'agit d'une question très actuelle. Pour comprendre la scène, un petit rappel historique est nécessaire.

 

Depuis ses origines, le peuple d'Israël vit dans la certitude que le Dieu unique a fait Alliance avec lui, qu'il doit donc observer tous les préceptes divins et qu'il a mission de révéler ce Dieu et sa Loi à toutes les nations. Mais à partir du 3ème siècle avant notre ère, la brillante civilisation hellénistique s'étend dans tout l'est du bassin méditerranéen et le Proche-Orient ; avec sa démocratie, ses théâtres, écoles de philosophie, gymnases, jeux, chefs-d'½uvre de l'art, elle jouit d'un prestige extraordinaire et tend à s'imposer partout comme  LE mode de vie normal.

 

Péril mortel pour la foi d'Israël ! Aussi, afin d'échapper à la contagion du paganisme, on constitue le Livre des Ecritures sacrées (la Torah), on impose  la circoncision aux nouveau-nés mâles, on renforce l'observance du shabbat et on s'astreint à des règles alimentaires strictes(« cacher »).  Cette affirmation d'identité se révélant encore insuffisante, c'est alors que naît le nouveau mouvement des Pharisiens qui inventent et veulent imposer au peuple beaucoup d'autres observances singulières afin de rester un peuple « pur » indemne des « impuretés » païennes.

Comment Jésus se situe-t-il vis-à-vis de ces nouvelles traditions ?

 

Les Pharisiens et quelques scribes étaient venus de Jérusalem. Ils se réunissent autour de Jésus et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures c.à.d. non lavées...Ils demandent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils mangent sans s'être lavé les mains ! ». Jésus leur répond : «  Isaïe a fait une belle prophétie sur vous, hypocrites, dans ce passage : «  Ce peuple m'honore des lèvres mais son c½ur est loin de moi. Il est inutile, le culte qu'ils me rendent : les doctrines qu'ils enseignent ne sont que des préceptes humains ! » Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes ».

 

A la suite de plusieurs prophètes, Jésus dénonce l'invention de pratiques soi-disant religieuses mais qui restent superficielles et qui vont même jusqu'à supplanter les commandements de Dieu. Et il cite un cas qu'il a sans doute rencontré et qui est malheureusement omis dans la lecture liturgique.

 

Moïse a dit : «  Honore ton père et ta mère »...Mais vous, vous dites : « Si quelqu'un dit à son père ou à sa mère : Le secours que tu devais recevoir de moi est qorban, c.à.d. offrande sacrée, vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou sa mère ! Vous annulez ainsi la Parole de Dieu par la tradition que vous transmettez ! Et vous faites beaucoup de choses du même genre ! »

 

Le 4ème commandement du Décalogue obligeait les enfants à honorer leurs parents et notamment à les soutenir dans leur vieillesse ( en ces temps-là, pas de pension ni de sécurité sociale !). Mais des scribes pharisiens enseignaient que l'on pouvait se libérer de cette charge parfois pesante en déclarant que l'on avait voué tous ses biens au temple de sorte que l'on pouvait les conserver car ils étaient tenus pour « sacrés » ( ??)

 

Cette perfidie rend Jésus furieux ! Comment ose-t-on inventer pareille casuistique qui semble honorer Dieu et bafoue les droits des vieux parents ? Comment le culte pourrait-il être authentique s'il piétine la justice ? Quelle hypocrisie d'imposer une « tradition humaine » qui supprime un commandement de Dieu !

N'a-t-on pas également  vu dans l'Eglise certains exploitant les pauvres, édifiant des fortunes et se dédouanant par de petits actes de piété et des dons au culte ?...

 

LA  VRAIE  SOURCE  DE  L'IMPURETE.

 

Jésus enchaîne en revenant au problème de l'alimentation. Les lois du Lévitique détaillaient la liste des animaux impurs (notamment le porc) qu'il était strictement interdit de consommer (Lév.11). Cette singularité juive provoquait les sarcasmes sinon l'irritation des autres peuples : le roi Antiochus IV avait tenté d'extirper cette coutume et si des Juifs avaient cédé à la menace, d'autres avaient préféré mourir plutôt que d'enfreindre cette loi prescrite par les Ecritures donc par Dieu ( cf. 2 Macc.7).

Or ici, de sa propre autorité, Jésus va abolir cette loi.

 

Jésus appela de nouveau la foule : « Ecoutez-moi tous et comprenez bien.

Rien de ce qui est extérieur à l'homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur ».

Il disait encore à ses disciples à l'écart de la foule : «  C'est du dedans, du c½ur de l'homme que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans et rend l'homme impur »

 

On ne contracte pas une impureté rituelle selon le genre de nourriture que l'on prend : ainsi, commente Marc, Jésus « déclarait que tous les aliments sont purs ». Ce qui souille vraiment l'homme, c'est le péché, ce sont les pensées perverses qui produisent des actes méchants.

La source de l'impureté ne réside donc pas dans telle alimentation mais dans le c½ur.  Dans la Bible, le mot « c½ur » ne désigne pas le lieu des affections et des sentiments mais bien le centre de la personne, là où l'homme  forme ses projets, prend ses décisions. Là est le mal qui salit, qui détruit.

 

Ces traditions pharisiennes, on le sait,  constituèrent un gros obstacle dans les premières Eglises où se côtoyaient Juifs et païens convertis et saint Paul eut fort à faire pour convaincre ses frères de race - et même saint Pierre ! -  d'appliquer la libération apportée par le Seigneur Christ. Il n'y a pas de tabous alimentaires en christianisme ni d' « impuretés rituelles ».

 

« J'en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n'est impur en soi...

Car le Règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson :

 il est justice, paix et joie dans l'Esprit-Saint.

C'est en servant le Christ de cette manière qu'on est agréable à Dieu et estimé des hommes »

                                                                                                                (Rom. 14, 14-18)

 

ACTUALITE  DU  DEBAT

 

Aujourd'hui, à notre tour, nous sommes immergés dans une civilisation d'une puissance colossale : elle multiplie les prodiges, offre un niveau de vie que les générations précédentes n'auraient jamais imaginé. Mais où est Dieu dans ce monde sécularisé ? Etourdi par les sirènes de la publicité, submergé par les objets et les images, tenté par les opportunités toujours nouvelles de la consommation à outrance, l'homme moderne oublie la question du sens de la vie. Beaucoup vivent « comme si Dieu n'existait pas ».

 

Et nous, chrétiens, ne sommes-nous pas pris - sans nous en rendre compte - par cette ambiance ? Ayons le courage de nous interroger : ne vivons-nous pas comme nos voisins incroyants ? Qu'est-ce qui nous distingue ? La foi ne peut être cantonnée dans la zone privée, réduite à des croyances secrètes ...

Si l'Eglise doit préserver son identité, Jésus nous a mis en garde contre les fausses protections pharisiennes, les pratiques rituelles hypocrites, les habitudes pieuses et superficielles. La souillure ne vient pas du contact avec des incrédules pas plus qu'avec les aliments : elle est cachée dans le c½ur, au plus profond de notre être où rôde le mal.

 

Et remarquons bien la liste que donne Jésus («  inconduites, vols, cupidité... ») : les 12 mots se rapportent non à la piété mais aux relations humaines, à la détérioration des liens entre nous, à l'attaque contre le prochain. Donc l'identité chrétienne n'est enracinée, préservée, affirmée que par la charité fraternelle.

 «  Voyez come ils s'aiment » s'étonnaient les citoyens romains devant les premières communautés évangéliques.

 

On comprend donc pourquoi ce débat sur le « c½ur » à purifier surgit au moment où Jésus vient de promettre son Eucharistie : c'est en accueillant au fond de nous (dans le c½ur), par la foi et la confiance, le Christ crucifié et ressuscité que notre c½ur sera purifié de ses souillures et nous entraînera à nous aimer les uns les autres  comme le Christ nous a aimés.