21ème dimanche, année A

Auteur: Philippe Cochinaux
Date de rédaction: 24/08/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014


Ce n'est sans doute pas sans raison que le Christ interroge ses disciples sur sa propre identité alors qu’il se trouve dans la région de Césarée-de-Philippe. Césarée-de-Philippe était ville hautement religieuse dans sa diversité. Elle était parsemée de quatorze temples dédiés au dieu syrien Baal et vivait donc sous l'ombrage d'anciens dieux. Mais ces dieux syriens étaient loin d'avoir le monopole du culte et de la vénération. Dans cette ville, il y avait également une caverne dans laquelle, le dieu grec Pan, dieu de la nature vit le jour. De plus pour les juifs de l'époque, le Jourdain prenait sa source dans cette même caverne. Juifs, Grecs, Syriens avaient fait de Césarée une ville d'adoration de leurs dieux. Il ne manquait plus que les Romains, me direz-vous. Ils ne nous ont pas attendu puisqu’ils y érigèrent un temple de marbre blanc en l'honneur de la divinité de César. Dès lors, je crois que nous pouvons affirmer que cet endroit choisi par le Christ est loin d'être neutre puisqu’il est littéralement submergé de temples syriens, grecs, romains. Cette histoire s'est passée, il y a bientôt deux mille ans. C'était bien loin d'ici. Les lieux ont changé et il en va de même pour les dieux. Ces derniers sont aujourd'hui différents mais tout aussi présents. Nos dieux contemporains sont peut-être plus matériels, leur soi-disant bonheur est immédiat. Ils sont en tout cas plus palpables, plus réels. Mais comme les faux-dieux d'hier, ils risquent de nous enfermer dans une spirale qui va nous éloigner de ce qui constitue le moteur de nos vies, c’est-à-dire les relations.

En effet, nous sommes des êtres relationnels nés d’une relation et nourris par toutes celles qui nous sont données à vivre.   La vie nous convie ainsi à nous relier les uns aux autres. Toutefois, il peut arriver que de reliés à l’autre, nous en venions à être liés à lui, c’est-à-dire que nous entrons dans une relation de fusion, voire de confusion. Cette fois, nous aurons à être déliés de telles relations. Le Fils de Dieu ne dit-il pas « tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ». Cette affirmation n’est en rien de l’ordre d’une morale mais plutôt, comme le souligne si bien la théologienne Lytta Basset, d’une forme de libération de relations aliénées et aliénantes. Il y a parfois des personnes qui peuvent être toxiques pour nous, soit parce qu’elles ne nous permettent pas d’exister par nous-mêmes, soit parce qu’elles ont un projet pour nous et cherche à nous l’imposer. Peut-être parfois de manière inconsciente, elles nous lient à elles et nous avons le sentiment d’étouffer. Il est fondamental de pouvoir s’en libérer sur terre pour en être délié dans les cieux, ces derniers étant entendus comme cet état où la relation s’équilibre et s’inscrit dans le respect de l’amour ou mieux encore dans l’amour de respect. Une relation « dans les cieux » est une relation où nous permettons à l’autre d’être ce qu’il souhaite devenir afin qu’il puisse accomplir sa propre destinée. Ici, il y a place pour l’altérité. L’autre existe parce que je le reconnais comme étant pleinement autre, différent de moi. Je n’ai pas de projet sur lui, juste une intention bienveillante : qu’il puisse se réaliser. Et j’attends en retour une attitude équivalente. Le souffle de l’amour agit ainsi entre nous et nous pouvons vivre nos pentecôtes terrestres où nos vies sont comme des langues de feu, expression de la tendresse divine. Il est, souligne Lytta Basset, « de notre responsabilité d’humains en voie d’humanisation de nous intéresser suffisamment à l’être unique d’autrui pour éveiller en lui le désir d’un tel partage : nous avons besoin des autres pour prendre pleinement conscience du feu qui nous a embrasés ne serait-ce qu’une fois ». Le Christ nous invite une fois encore à nous relier les uns aux autres dans des relations qui nous font grandir et avancer sur le chemin de nos vies mais également, quand cela s’avère nécessaire, à avoir le courage de nous délier de relations encombrantes qui ne nous permettent plus de respirer. Pour ce faire, il nous suffit de prendre appui sur la relation que Dieu vit avec chacune et chacun de nous. Il nous aime tel que nous sommes et nous accompagne sans jamais nous lâcher. Son souhait : que nous puissions vivre de la vie en abondance que son Fils est venue nous offrir. Bienheureux, sommes-nous alors de nous savoir aimés « dans les cieux » de la sorte par Dieu afin que nous puissions nous aimer de manière équivalente sur cette terre entre nous. Délions ce qu’il y a lieu d’être pour que nous puissions nous relier dans des relations ajustées aux autres et au Tout-Autre au cœur de notre propre Césarée.

Amen