Frères et s½urs, Dans la vie de tous les jours, dans notre société, nous proclamons haut et fort que « chacun est responsable de ses choix et ne peut s'en prendre qu'à lui-même des conséquences qui en résultent. » Il s'agit là de la consécration de la responsabilité individuelle dictée par le respect de la liberté et de la dignité de la personne humaine. La vie privé est sacrée ! Et pourtant, dans notre société, la loi condamne aussi la non-assistance à personne en danger de mort ;comme pour rappeler que la responsabilité individuelle a ses limites, et que, quelque part, nous sommes responsables les uns des autres -malgré tout ! A travers les lectures qui nous sont proposées dans la liturgie de ce dimanche, nous pouvons déceler une constante : « l'indifférence peut devenir fatal. » En effet, ces lectures montrent comment nous comporter envers des frères et s½urs qui ont notoirement commis un péché (Mt.18,15-ss). Elles montrent aussi que « l'accomplissement parfait de la loi c'est la charité », un devoir (dette) avec lequel on n'est jamais quitte(Rm.13,8-ss).Impossible , dès lors, d'abandonner les pécheurs à leur sort. La charité à leur égard demande qu'on s'efforce de les amener à s'amender. Voilà ce que certains appellent le devoir de « correction fraternelle » lequel exige doigté et humilité, car il ne s'agit pas de juger ni de condamner des coupables. Matthieu est très sensible au problème de l'exclusion puisque son principal souci est de rassembler en communauté fraternelle. Il propose donc une solution progressive en trois étapes : 1 .Un accord à l'amiable, mais cela ne marche pas toujours. 2. Prendre deux ou trois personnes comme témoins. 3. L'intervention de la communauté et éventuellement une « excommunication ». Cette procédure relève de la consigne de la correction fraternelle et du bon sens :ne brûlez pas d'étapes. Pour Matthieu, il est important de « parler à son frère » et « non de son frère ». Peut-être le faisons-nous trop peu ? Et ne serait-ce pas alors le signe d'un manque d'intérêt ? L'enjeu de toute cette procédure reste, pour Matthieu, de ne pas perdre quelqu'un, d'avoir une assemblée fraternelle. En Afrique nous parlons de l'arbre à palabre où tout se discute autour d'une calebasse (une espèce de cruche) de vin de palme(ou tout autre vin local)jusqu'à ce qu'une solution de paix ,de réconciliation soit trouvée. Voici une petite histoire que j'ai trouvée dans le livre des « sentences des pères du désert, n ?352, Solesmes, 1966, pp.251-ss. » « Deux anciens vécurent ensemble bien des années, et jamais ils ne se disputèrent. Aussi, l'un dit à l'autre : « si nous nous disputions une fois comme tout le monde ? » Son frère lui répondit : « je ne sais pas comment on fait pour se disputer ». L'autre dit : « voici : je pose une brique entre nous. Mais je dis :elle est à moi. Et toi ,tu dis :non, c'est la mienne ! C'est comme cela qu'une dispute commence ». Il posèrent la brique entre eux. L'un d'eux dit : « elle est à moi ». L'autre dit : « non, elle est à moi ». Le premier reprit : « oui, elle est à toi ; prends-la et va -t-en ». Et ils se séparèrent sans pouvoir se disputer. » Frères et s½urs, Pour terminer, permettez-moi de partager avec vous les réflexions de l'abbé Pierre dans son livre « Fraternité »,Paris,Fayard,1999,pp.85-88. « Nous sommes tous constamment confrontés à choisir entre deux chemins, deux sortes d'engagement, deux manières d'être...Ces deux voies sont très claires : « moi sans les autres ou moi avec les autres ... ». Personnellement, c'est vers l'âge de sept ans que j'ai pris conscience de l'existence des choix à travers un petit événement tout simple. J'avais volé de la confiture et laissé accuser un de mes frères. Mes parents s'en étant aperçus, ils me punirent en m'interdisant d'aller à une fête chez des cousins .Le soir, mes frères et s½urs rentrent tout joyeux et me racontent les jeux merveilleux qu'ils ont faits. Imperturbable, je leur réponds : « qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse puisque je n'y étais pas ? » Mon père a entendu ma réflexion. Il me fait venir dans son bureau et me dit avec douceur et tristesse : « Henri, comment ne vois-tu pas combien ce que tu as dit à ton frère est affreux ? Alors il n'y a que toi qui compte ? » Ce fut un choc terrible .Je compris que je pouvais me replier sur moi-même, me suffire à moi-même, ou au contraire, m'ouvrir aux autres, participer à leurs joies et à leurs peines. Tout homme un peu attentif à ce qui est au-dedans de lui voit bien qu'il est traversé par deux mouvements :l'idolâtrie de soi- moi, moi, moi, mon enrichissement, ma réussite, ma carrière, et que les autres se débrouillent- et puis la générosité, le partage, l'amour. Mais aimer, qu'est-ce que c'est ? Aimer, c'est être plus hors de soi. L'amour, c'est la sortie de soi...Je suis intimement convaincu que ce qu'on appelle ,dans l'imagerie populaire chrétienne, l' « enfer » et le « paradis », ne sont que le prolongement dans l'au-delà de ces deux voies que nous aurons choisi de suivre sur Terre. Au contraire de Sartre qui disait « l'enfer c'est les autres », je dirais « l'enfer c'est soi-même coupé des autres ». C'est se contempler éternellement le nombril. C'est être l'idolâtre de soi .A l'inverse, le paradis c'est être relié aux autres. C'est la joie du partage, de l'échange, de communion. »
23e dimanche ordinaire, année A
- Auteur: Dianda Jean-Baptiste
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 1998-1999