23e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Il faut avoir un fameux sens de l'humour, me semble-t-il pour oser demander à une personne sourde et muette qui recouvre deux de ses sens, ainsi qu'aux personnes qui ont assisté à cette guérison, de ne rien dire. Qui d'entre nous lorsqu'il ou elle vient de vivre un moment important de son histoire personnelle, un temps inoubliable et inexprimable n'a pas envie de le partager, le chanter, le crier à tous ceux et celles qui l'entourent. Etonnant alors que le Christ leur demande de se taire. Ou alors, Jésus avait peut-être compris que ce miracle, cette guérison n'était qu'un moment particulier, singulier de l'histoire de notre humanité. Et que pour qu'un tel événement puisse être vraiment fêter, célébrer, le Christ espère la guérison de toutes les surdités et de toutes les formes d'attitudes muettes.

Il y aurait sans doute un danger à croire que cet évangile ne s'adresse qu'aux personnes atteintes de ces types de vulnérabilités, de fragilités dans leur chair. Nous ne pouvons nous leurrer, cet extrait concerne également le fait d'être muet et les surdités qui coexistent en nos coeurs. Combien d'entre nous n'ont pas fait l'expérience, lorsqu'ils souhaitaient partager un incident, un événement important de leur histoire, se voir soudainement couper par leur interlocuteur qui ramenait alors tout à lui ou à elle. Dans de nombreuses discussions n'avons nous pas la tendance à ne pas écouter l'autre jusqu'au bout pour lui faire connaître d'abord nos convictions, nos idées. Nous ne vivons plus une discussion, un débat mais plutôt une joute oratoire où tout le monde sort perdant puisque nous sommes passés à côté d'une véritable rencontre humaine, en croyant que communiquer c'est tout simplement devoir donner son avis plutôt que d'essayer ensemble d'avancer sur une question, une problématique. Si tout ceci est tellement vrai, comment alors espérons-nous être capable d'entendre les signes vivants de Dieu parmi nous, si nous ne sommes pas à même de nous écouter les uns les autres. Or le Seigneur continue à s'adresser à nous par divers signes. Ce serait également une erreur de croire que notre surdité n'existe que vis-à-vis de l'autre qu'il soit parent, enfant, ami ou simple connaissance, ou encore vis-à-vis de Dieu qu'il soit Père, Fils ou Esprit. Non, nous devons nous rendre à l'évidence que cette surdité se vit également par rapport à nous-mêmes. Combien de fois, n'écoutons-nous pas les signes alarmants de nos corps. Ce qui conduit parfois certains et certaines d'entre nous à des catastrophes irréversibles. Pire encore, est cette surdité intérieure en lien avec notre coeur. Puissions-nous entendre cette phrase de Jésus, « ouvre-toi ». Oui, mais pour pleinement t'ouvrir aux autres, ouvre-toi d'abord à toi-même. Ecoute ton coeur, écoute ce que tu ressens au plus profond de toi, refuse de te fuir. Alors seulement, fortifié par ce temps d'écoute offert à ton coeur, tu peux commencer à parler, à quitter ce monde intérieur de silence dans lequel tu t'étais cloisonné.

S'ouvrir à soi, c'est donc être capable de se donner à nouveau la parole pour dépasser ses peurs ainsi que certaines convenances qui n'ont plus de raison d'être aujourd'hui. C'est vouloir réinstaurer un type de communication fondé sur la vérité de ce que l'on ressent, pour qu'une véritable rencontre puisse se vivre et s'épanouir. Retrouver la parole, renouer avec le langage du coeur, c'est prendre la responsabilité de laisser se répandre sa sensibilité, ses sentiments. Finalement, les seules choses qui véritablement importe au cours de cette vie sur cette terre. C'est donc entendre une rumeur en soi, dans le pli d'un silence. Refuser d'être muet, c'est oser se dépouiller d'une partie de son âme, se réjouir de ce rapt tout intérieur. Voilà de quoi nous souffrons sans doute le plus lorsque nous sommes muets avec nous-mêmes, c'est de ne pas assez voler dans notre coeur, de piller dans nos sentiments pour nous laisser véritablement déposséder. Vivons de ce rapt, seulement alors la parole coulera à nouveau par nos lèvres, de notre coeur, comme une source d'eau claire et limpide. Trop souvent nous restons sourd et muet, et si le miracle de Jésus était aussi pour nous aujourd'hui.

Amen.