Vous connaissez sans doute l'expression « qui aime bien châtie bien ». C'est un peu de cela dont il s'agit aujourd'hui dans les lectures. Pour autant que châtier s'entende, non pas tant comme « infliger une peine » que « corriger, rendre plus correct, meilleur ». Qui aime bien, sait comment bien corriger.
L'Évangile de Matthieu nous présente aujourd'hui ce qu'il est convenu d'appeler les étapes de la correction fraternelle. Il expose comment, entre nous, nous corriger. Et mis de la sorte en perspective avec le passage du livre d’Ézéchiel que nous venons de lire, se développe même l'idée d'une obligation morale à corriger. « Si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang ». Est-ce à dire que l’Écriture nous invite à devenir des redresseurs de torts, voire des dénonciateurs zélés ? Oui et non. En tous cas, face au mal, elle nous interdit la passivité. L'apocalypse qui est également un texte qui traite de la confrontation avec le mal dira à l’Église de Laodicée : « parce que tu es tiède – ni brûlante ni froide – je vais te vomir de ma bouche. » [Ap 3, 16].
Que faire lorsque nous sommes confrontés au mal que fait autrui ? Se taire ? Parler ?
Le récent scandale de la pédophilie qui a touché notre Église est, à cet égard, particulièrement éloquent. Nous le savons : des enfants furent sexuellement humiliés par des prêtres, leurs vies brisées. Et pour l'essentiel, l’Église s'est tue.
« Parce que tu es tiède, je vais te vomir de ma bouche. »
Maintenant, nous voyons les dégâts d'un silence complice : c'est la crédibilité de toute l’Église – et donc la nôtre, ici aussi – qui a été sévèrement atteinte par cette volonté coupable de dissimuler un mal que le commandement divin demandait pourtant d'affronter : « ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » [Mt 25, 40].
Chaque fois que l’Église s'est tue face au mal commis par l'un des siens s'est appliquée la parole d’Ézéchiel : « le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang ».
La honte est un sentiment complexe dont les synonymes se partagent entre humiliation et remord. La honte est un sentiment qui ne touche pas seulement l'agresseur, mais aussi bien souvent la victime et son entourage. La honte est un sentiment intrinsèquement attaché au péché et à tous ceux qu'il affecte. Et c'est la honte – la peur du « qu'en dira-t-on ? » – qui pousse au silence. C'est bien la honte, personnelle et collective, qui nous incite à dissimuler le péché.
L'amour, lui, n'a pas honte.
On comprend que la charité chrétienne – ni même le pardon – ne consistent à fermer les yeux sur le mal qui est commis. On comprend même qu'il nous est interdit de nous taire face à l'injustice – en particulier l'injustice dont nous sommes nous-mêmes victimes. Le texte dit : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul ».
C'est sans doute une attitude difficile pour beaucoup de victimes, d'affronter encore leur agresseur. Aussi difficile à entendre que le commandement d'aimer ses ennemis. Mais c'est une attitude nécessaire, pour justement se délivrer de la honte d'un péché qui n'est pas le sien et que l'on a pourtant subi.
L'amour n'a pas honte et l'amour n'a pas peur.
Si on suit Paul dans sa vision de la Loi comme l'odieux catalogue de péchés qu'elle sanctionne, on voit qu'au-delà du mal, l'Évangile offre une méthode pour réhabiliter le pécheur dans l'amour. Aller trouver celui qui nous a offensé, c'est déjà le maintenir humain, digne de considération et ce, parfois, au prix d'un effort considérable. Ce n'est en effet pas évident, à mesure d'ailleurs du mal subi, de souhaiter rendre dignité à celui qui nous a offensé.
Impliquer deux ou trois voire la communauté, s'il refuse de reconnaître sa faute, c'est persévérer encore dans cette voie de reconnaissance humaine et de relèvement. Paul a raison, la Loi, la sanction ne suffisent pas : encore faut-il une démarche de réhabilitation de la relation blessée. Comme le souligne l’Épître aux Romains : l'accomplissement de la Loi ce n'est pas la sanction, c'est l’amour.
On comprend finalement que le pouvoir de lier et de délier sur la terre comme au ciel, si souvent interprété comme une licence divine à administrer dès ici-bas les réalités d'en-haut est plutôt de l'ordre du devoir. Il s'agit de désirer ne laisser personne lié à son propre péché, pas même ceux qui nous agressent.
Enfin, de tout ceci, nous pouvons tirer des leçons pour notre propre vie spirituelle. Nous sommes nous-mêmes victimes de notre péché ; le mal que nous faisons nous nuit aussi personnellement. Ainsi l'Évangile nous invite aussi à la compassion envers le pécheur que nous sommes. Il nous incite à avoir un véritable dialogue intime avec nous-mêmes à propos des maux que nous nous infligeons et à maintenir vivant un désir authentique de toujours nous en relever. C'est de là qu'émane le désir de se confesser. J'ose un abus de langage : à mesure que croit sa vie spirituelle, le chrétien aime avoir honte de confesser son péché comme il s'agit de trouver bonne une pilule amère parce qu'on a conscience de la guérison qu'elle apporte.
Face aux maux qui nous agressent – du fait d'autrui ou de nous-mêmes – notre rôle est d'être toujours, à tous égards, des facilitateurs de relèvements, de résurrections.
23ème dimanche ordinaire
- Auteur: Laurent Mathelot
- Date de rédaction: 10/09/17
- Année: 2016-2017