22ème dimanche ordinaire

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 3/09/17
Année: 2016-2017


« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, prenne sa croix, et qu’il me suive. »

Pour bien des personnes, ce verset est scandaleux… et j’imagine que, comme moi, vous avez quelques difficultés avec la promotion de l’abnégation, du martyre ou de la dépréciation de soi. Mais si nous sommes ici, c’est qu’il y a au fond de vous un parti pris absolu. Nous osons croire que toute Parole d’Évangile est réellement une bonne nouvelle : toute page d’évangile nous est donnée pour notre croissance. Alors, si Jésus nous invite à nous « renier nous-mêmes et porter notre croix », c’est qu’il y a là une perspective de joie et de liberté.

Pour poser un tel regard sur cette invitation du Christ, il me semble qu’il nous faut bien lire ce verset au complet.  « Se renier soi-même » doit s’accompagner de « prendre sa croix ».

Prenons tout d’abord la première partie de ce verset. « Qu’il se renie lui-même ». Quel sens mettre derrière cet appel du Christ ? N’est-ce pas avant tout une invitation à l’apprentissage du deuil ? En effet, toute croissance est ponctuée de pertes successives. Toute avancée dans l’existence s’accompagne inévitablement d’un détachement. Pour cela, il faut un réel acte de foi : celui de croire que le renoncement à certaines parties de notre existence peut de lui-même s’accompagner d’un surcroit de vie. Se renier soi-même n’a de sens que pour un surcroit de vie. C’est donc du patient travail de deuil qu’il est question derrière « le renoncement à soi-même ». Il s’agit bien de mourir à ce qu’on n’est plus pour renaître à ce qu’on peut devenir. C’est cela marcher à la suite du Christ : ouvrir des perspectives. Il ne s’agit pas de répondre simplement à la question « Consens-tu à lâcher cela ? » mais bien « Es-tu prêt à te séparer de ce qui t’empêche d’aller plus loin ? » Notre monde, nous le savons bien, n’aime pas les renoncements. Prenez par exemple le cas des addictions, des dépendances et des assuétudes. Que ce soit une dépendance à une personne, un produit, ou un comportement. Ces dépendances sont le symptôme de quelque chose de profond : le besoin de renforcement de soi. Etre dépendant, c’est donc croire erronément que tout renoncement s’accompagne d’une vie davantage difficile…

Tout au contraire, le chemin que nous propose le Christ est un chemin de liberté, d’indépendance. Pour cela, il faut porter notre croix. Et voici la deuxième partie de notre verset.
 

Avouez aussi que l’expression est un peu doloriste. Toutefois, comme le fait remarquer Lytta Basset, théologienne suisse, la traduction classique de ce verset rend imparfaitement le grec. Plutôt que de « porter » ou « prendre » sa croix comme un poids, il s’agit en réalité de « lever », de « mettre en mouvement », de « soulever » sa croix. « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, et qu’il élève sa croix » devrions-nous dire. Il ne s’agit donc pas de porter sa croix au sens de subir le poids, mais « lever, élever ». Et cela change tout !

Elever sa croix, ce n’est pas la faire porter aux autres ou par les autres. Elever sa croix, c’est prendre sa vie en mains, lui donner de la hauteur. Prendre sa vie en main, c’est donc l’accueillir telle qu’elle est. Voilà donc l’expérience que nous avons à faire tous les jours : faire mourir une partie de nous-mêmes —un petit peu d’égoïsme qui nous tire vers le bas— pour élever notre vie, pour avoir une vie plus pleine de vie ! Soulever sa croix, c’est par conséquent une démarche quotidienne de renoncement à tout ce qui nous tire vers le bas. Elever sa croix, c’est prendre de la hauteur sur sa vie, c’est prendre ses échecs en mains, oser les regarder.  Non pas en les justifiant, mais en disant qu’il y a de l’inexplicable qui peut être franchi, de l’échec qui peut être traversé, une impasse qui peut devenir paradoxalement féconde. Elever sa croix, c’est mettre, remettre sa vie en mouvement.

Voilà pourquoi le sens ne jaillit réellement que si nous lions bien ce verset au complet.  « Se renier soi-même », faire des deuils féconds, doit s’accompagner de « l’élévation de la croix », d’une prise de hauteur sur sa vie. Alors, si tel est l’appel qui nous est lancé aujourd’hui, réjouissons-nous et ne tentons pas de prendre la croix des autres —c’est cela faire obstacle comme Pierre l’a fait avec Jésus—, mais soulevons notre croix, une croix de vie, une croix de résurrection ! Nous voilà donc aux antipodes de l’interprétation première. Prendre sa croix, c’est tout l’inverse de sacrifier sa vie. C’est la rendre sacrée… en la donnant, en la mettant en mouvement jusqu’au bout. Alors, quelles que soient nos difficultés, voulons-nous nous sacrifier, porter cette vie comme un fardeau, ou bien donner de la hauteur à notre existence ? A chacun et chacune d’y répondre.

Sources : Lytta Basset : La joie imprenable pp. 218-227
Marion-Muller Collard : Commentaire du 22 dimanche ordinaire année A (site www.Reforme.net).