Permettez-moi de vous faire une confidence: il m'arrive d'écouter d'autres radios que R.C.F., l'excellente radio chrétienne francophone, sur 93.8 fm, dont vous trouverez la grille de programme au fond de cette église. Oui, je dois le confesser publiquement, il m'arrive d'écouter d'autres chaînes que R.C.F., surtout quand je suis au volant en dehors de la zone de diffusion. Et il y a quelques jours, je suis tombé sur une émission d'une grande chaîne radiophonique francophone concurrente.
Je vous avoue que j'étais un peu mal l'aise en écoutant le débat. Le principe de l'émission—tout à fait respectable—était avant tout de défendre les consommateurs, en invitant à l'antenne des clients mécontents. Et, pendant près de 10 minutes, les déclarations de témoins se succédaient. Tous s’attaquaient à une personne qui n'avait nullement l'occasion de se défendre. En écoutant cette forme de procès en l'absence du prévenu, j'ai pensé à l'évangile de ce jour. "Si ton frère a commis un péché, va d’abord lui parler seul à seul, puis avec des témoins, puis au sein de la communauté ".
Avouez que notre culture prend souvent le chemin inverse. Aujourd'hui, les jugements se font souvent en public, de manière un peu lâche ! Notre culture aime faire parler les groupes, plutôt que de s'adresser aux individus. Et nous aussi, nous parlons souvent plus facilement des autres, plutôt qu'aux autres. Dans les réseaux sociaux d'ailleurs, se développe de plus en plus chez le jeunes ce qu'on appelle le 'cyber-bullying', le lynchage collectif sur internet.
Et voilà que l'évangile nous rappelle aujourd’hui cette sagesse fraternelle, cette sagesse toute simple que nous n’aurons jamais fini de redécouvrir. Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul,
Cette bienveillance fraternelle nous invite à bien veiller sur nos frères et soeurs lorsqu’ils trébuchent, à nous mettre à l’unisson de leur solitude. C’est une attention qui ose dire « non », parce qu'elle se sait capable de dire « oui ». Elle peut formuler un reproche, car elle sait aussi se faire parole d'encouragement. La bienveillance fraternelle est cette attention qui n'a pas peur de reprendre l’autre, parce qu'elle sait aussi se réjouir de ce qu’il vit.
Cette bienveillance nous pousse à mettre des mots sur ce qui ne va pas, à verbaliser... Et vous sentez le double sens ! Il ne s'agit pas de verbaliser son frère—comme un agent le ferait— mais verbaliser avec son frère, c’est-à-dire à mettre des mots sur ce qui ne convient pas. Nous sommes ainsi, comme le dit la lecture que nous avons entendue, des "guetteurs" les uns pour les autres, dans l’amour de respect.
Dans l’individualisme ambiant, il peut nous arriver de ne plus nous occuper des autres, peut-être pour que ces derniers ne nous remettent pas non plus en question... Je les fuis tout en me fuyant moi-même! Mais l’évangile nous dit Va lui parler seul à seul... Va lui parler. Fais un geste. N'attends pas qu'il s'enferme dans son erreur, mais n'aie pas non plus la prétention d'avoir la vérité ! Va voir ton prochain pour qu'il puisse mettre des mots sur ce qu'il traverse, pour qu'il puisse se réapproprier son histoire. Parle lui, seul à seul... Rainer Maria Rilke écrivait que l'amour n’est rien d’autre que « deux solitudes qui se rencontrent ».
Devenons ainsi des guetteurs ! Si ton frère a commis un péché, c'est-à-dire s'il pose des actes qui l’empêchent de se réaliser, s'il entre en rupture avec lui-même, avec les autres, va lui parler ! Cela ne veut pas dire l'accuser, le culpabiliser, devenir moralisateur. Non c'est être capable de lui proposer des possibles, d'illuminer sa route. Cela nous demande douceur et vérité, patience et confiance. Mais nous pouvons avoir cette conviction que nous sèmerons ainsi en lui quelque chose d'indicible pour qu'un jour, il se relève de lui-même.
Voilà cette invitation que l’évangile nous adresse en ce temps de rentrée : la bienveillance fraternelle. Alors, soyons non pas des spectateurs mais des acteurs de notre vie, en étant guetteur de celle des autres. Amen.