LE PROCESSUS DE RÉCONCILIATION
Matthieu a construit son évangile avec soin en alternant les récits des actions de Jésus et les pages d’enseignements. Ceux-ci sont assemblés en 5 grands discours selon les points fondamentaux de la vie chrétienne : 5 à 7 : le Discours sur la montagne = La MORALE chrétienne 10 : les consignes de mission = La MISSION évangélisatrice 13 : les 7 paraboles du Royaume de Dieu = le Règne de Dieu : LA FOI 18 : la communauté = La vie en communauté : LA CHARITE 24, 4 -25 : l’avenir = L’histoire à faire : L’ESPERANCE Donc déjà une cinquantaine d’années après la disparition de Jésus, les chrétiens avaient élaboré la catéchèse fondamentale de la Bonne Nouvelle et ils étaient passionnés de partager leur découverte. Aujourd’hui nous méditons le seul petit extrait du 4ème discours qui passe en liturgie, mais il serait bien de méditer le chapitre entier : l’enjeu de l’entente communautaire est capital.
LA CORRECTION FRATERNELLE
Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. L’engagement de la foi et le baptême font entrer dans la communauté universelle de l’Eglise et, très concrètement, dans une cellule de base, la paroisse. Les membres y sont de toutes conditions, très différents les uns des autres mais, convertis en enfants de Dieu, ils sont réellement des frères et sœurs puisqu’ils partagent la Vie divine. Priant le « Notre Père », ils sont appelés à vivre ces nouvelles relations et à s’aimer les uns les autres, but ultime du Dessein de Dieu réalisé par son Fils Jésus.
Evidemment des heurts peuvent se produire et l’un peut faire mal à l’autre : que faire alors ? Régler le problème le plus tôt possible afin que la situation ne s’envenime. Matthieu nous explique comment on procédait dans sa communauté. 1er cas : dans le Sermon sur la montagne, Jésus a prévenu que celui qui prenait conscience d’avoir blessé son frère devait aller lui demander pardon sinon sa prière, sa liturgie était vaine. Le mur dressé devant le prochain est en même temps un mur qui empêche la rencontre de Dieu (5, 23-26) 2d cas (celui de notre évangile du jour): ici on envisage la situation inverse du frère qui a été lésé et il lui est enseigné la procédure à suivre. 1ère étape : D’abord ne pas jeter tout de suite le différend sur la place publique mais aller rencontrer l’auteur en privé, lui exposer ses reproches. Le dialogue doit lui ouvrir les yeux et l’amener à avouer ses torts. S’il « écoute », c.à.d. s’il avoue sa faute, demande pardon et s’engage dans une réparation, la relation sera renouée et la fraternité sauvée. 2ème étape : si le frère « n’écoute pas » les reproches, s’il se disculpe lui-même, s’il nie les faits, l’autre doit inviter un ou deux frères (ou sœurs) à l’accompagner afin d’ouvrir un nouveau dialogue et mettre l’affaire au clair. La présence de ces « témoins » permet de justifier ou non les reproches, de préciser l’ampleur du mal commis, d’exhorter le fautif à reconnaître son péché, de l’assurer du secret et de souligner le caractère indispensable de ressouder la fraternité. S’il « écoute », s’il tombe d’accord, s’il demande pardon, tous ensemble peuvent manifester la joie des retrouvailles. 3ème étape : Il est possible que le coupable persévère dans sa négation et refuse catégoriquement d’ « écouter » les supplications du petit groupe : en ce cas, si l’on voit la gravité d’une affaire qui blesse gravement la communion générale, alors l’affaire peut être portée devant l’Eglise. La communauté, la paroisse, est mise au courant et entreprend de juger l’affaire à nouveaux frais. Il ne s’agit pas d’un tribunal neutre qui juge de façon impassible selon un code de lois mais d’une « fraternité » consciente de tous les liens réciproques, animée par la charité. On ne passe pas l’éponge, on ne favorise pas le frère le plus important, on multiplie toutes les tentatives afin d’arriver à la réconciliation. En dernière instance, après tous les échecs, on peut considérer le coupable comme cessant d’être un frère participant à la communauté. Comme on le voit, il ne s’agit absolument pas d’une justice expéditive, d’une procédure pour mettre dehors certains indésirables mais d’un cheminement cordial, patient, pour sauver la fraternité. Le verdict final sera avalisé au ciel, c.à.d. par Dieu - à condition que tout ait été tenté. D’ailleurs, pour éviter l’enlisement dans les chicaneries, Matthieu a pris soin d’encadrer ce texte par deux paraboles qui rappellent le comportement de Dieu et la suprématie de la miséricorde. Il est le bon Berger qui s’inquiète d’un mouton égaré et se met en hâte à sa recherche : lorsqu’il l’a retrouvé, il le ramène au troupeau, plein de joie, car le Père du ciel ne veut pas qu’un seul de ces petits se perde (18, 12-14). Il faut chercher le frère avec empressement et amour. Et Dieu est le grand Roi qui, apitoyé par son serviteur incapable de lui restituer une dette immense, lui remet cette dette…mais qui exige que ce serviteur, à son tour, ne soit pas dur envers son confrère qui lui doit une somme bien plus modeste. Le serviteur bénéficiaire d’une miséricorde infinie se doit de partager ce pardon avec le frère qui l’a blessé- et qui doit lui-même demander pardon. (18, 21-35). Tout chrétien ne doit jamais oublier qu’il bénéficie lui-même d’abord du pardon incommensurable.
LA PRIERE
Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. L’affirmation s’ouvre de façon solennelle afin que les disciples n’en doutent jamais (même si les apparences sont contraires) : lorsque deux ou trois frères qui ont eu un différend refusent que le fossé s’agrandisse entre eux et « sont d’accord » pour demander la grâce d’une réconciliation qui leur paraît impossible, ils l’obtiendront. Car en priant pour rester « frères » et ne pas briser l’unité de l’Eglise, ils font mémoire de Jésus qui s’est abaissé au rang de serviteur et qui a supporté injures, coups, plaies, mort pour pardonner à ses frères. Le Seigneur vivant est donc présent au milieu de ces « petits » qui portent leurs blessures les uns pour les autres. La réconciliation, c’est mourir pour ressusciter et constituer une communauté où le pardon réciproque cimente une concorde toujours nouvelle. Là il n’y a plus revendication d’honneur blessé ni ressentiment mais humilité pour reconnaître ses propres fautes et adoucir ses exigences.
L’UNITE ENTRE FRERES et SŒURS
Le Royaume du Père que Jésus voulait et qu’il a fait commencer sur la terre est la création d’une humanité qui refuse haine et déchirement. Jésus terminait sa vie en disant à ses disciples: « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres ». Cette paix est toujours à construire et toujours difficile à maintenir : il suffit de voir que toutes les lettres d’apôtres gardées dans le Nouveau Testament reviennent sans cesse sur ce leitmotiv de la charité fraternelle – preuve qu’elle posait déjà problème partout. Notre premier travail d’évangélisation est sans doute là : dans la volonté de former et de maintenir des communautés dont les membres, sans doute, connaissent parfois heurts, colères, affrontements mais où domine la volonté d’obéir au Christ qui veut « des frères et sœurs » unis et réconciliés dans son Amour. La vraie communauté chrétienne n’est pas l’assemblée de gens qui se rassemblent par affinité d’âge, de conditions sociales, d’opinions politiques, de niveau culturel (cela, les païens le font aussi) mais la communion de tous ceux qui n’oublient pas qu’ils vivent de la Miséricorde de leur Père, qui partagent entre eux l’amour de leur Seigneur et qui offrent leurs plaies pour le salut du monde.
23ème dimanche, année A
- Auteur: Raphaël Devillers
- Date de rédaction: 7/09/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014