« JAMAIS D’AUTRE FIERTÉ QUE LA CROIX DE NOTRE SEIGNEUR » (Saint Paul)
Le 13 septembre 335, l’empereur Constantin fit célébrer la Dédicace de la basilique édifiée sur les lieux du calvaire et du tombeau du Christ et le lendemain on rendit un hommage solennel aux reliques de la croix de Jésus que la mère de l’empereur venait, dit-on, de découvrir suite à une révélation : telle est l’origine de la fête de « l’Exaltation de la Sainte Croix » le 14 septembre.
L’Evangile nous montre comment la croix horrible est devenue glorieuse.
LE BÂTON ET LE SERPENT
Le symbole bien connu de l’art médical - le serpent enroulé sur un bâton - remonte à la plus haute antiquité. Déjà connu en Inde, il était, dans la mythologie grecque, le bâton du dieu Asclépios (en latin Esculape). La tradition juive l’avait également adopté en y voyant une invention de Moïse ainsi que le raconte un curieux épisode du Livre des Nombres (1ère lecture d’aujourd’hui).
Un jour, dit-on, dans le désert, les Hébreux en exode dressèrent leur camp à un endroit infesté de petits serpents à la morsure particulièrement cuisante sinon mortelle et ils y virent une punition pour avoir critiqué Dieu. Ecoutant leurs plaintes et leurs cris de repentir, sur le conseil de Dieu,
« Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve » (Nb 21, 4-9)
Plus tard, quelques dizaines d’années avant Jésus, un professeur juif de sagesse, installé à Alexandrie, publia un opuscule, appelé « Sagesse » (attribuée faussement au roi Salomon) où, racontant l’Exode des ancêtres, il donna une interprétation de cet épisode intriguant (Sagesse 16, 5-12).
« En guise d’avertissement, ils furent effrayés quelque temps tout en ayant un gage de salut qui leur rappelait le commandement de ta Loi. En effet, quiconque se retournait était sauvé non par l’objet regardé mais par Toi, le Sauveur de tous…Ta miséricorde vint à leur rencontre et les guérit. Pour qu’ils se rappellent tes paroles, ils recevaient des coups d’aiguillon mais ils étaient vite délivrés…Ni herbe ni pommade ne vint les soulager mais c’est ta Parole, elle qui guérit tout »
Pour lui, il n’y avait donc eu là nulle magie, nulle sorcellerie. Le pécheur, en levant les yeux vers l’effigie du serpent, prenait conscience de son péché et comprenait que le péché mène à la mort. Il voyait anéantie la punition de son péché, « il se retournait » - or ce verbe est employé aussi pour désigner la conversion -, il se rappelait la Loi de son Dieu et sa Parole et il recevait sa Miséricorde. Cet épisode et son interprétation vont inspirer saint Jean de manière fulgurante.
LE SERPENT DU GOLGOTHA
Les apôtres et les premières générations chrétiennes ne cessèrent jamais de méditer sur le scandale de la croix : pourquoi cette mort affreuse et ignominieuse de leur Maître ? Pourquoi cette horreur épouvantable ? Il fallait en découvrir la signification.
Après plusieurs années de réflexion, Jean reçut une révélation nouvelle : à la croisée des traditions grecques et juives, Jésus crucifié, tordu, écartelé, ruisselant de sang avait pris la place du serpent et il donnait la guérison des morsures du mal. Il le dit au chapitre 3, dans l’entretien de Jésus avec Nicodème.
« Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Ses ennemis avaient décidé de supprimer Jésus comme un malfaiteur, un blasphémateur, « un serpent » qui, croyaient-ils, écartait de Dieu et donnait la mort. La foule, elle, n’avait vu dans la croix que l’exécution d’un martyr, la fin de son espoir d’indépendance.
Mais à Jean et l’Eglise, il a été donné une Révélation extraordinaire.
Oui, Jésus était bien le Fils de l’Homme descendu du ciel, le Fils unique qui devait retourner à son Père.
En le clouant entre ciel et terre, les hommes l’ont en fait « élevé », ils l’ont renvoyé vers son Père. C’est sur la croix qu’a commencé son Ascension. En nous aimant jusqu’à la mort, Jésus est « glorifié ».
Car il l’avait dit au moment même où la foule de Jérusalem lui faisait un triomphe dérisoire:
« L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié…Je suis bouleversé. Que dire ? « Père, sauve-moi de cette heure » ?........Père, glorifie ton nom…Maintenant le prince de ce monde (le serpent rusé qui veut la mort de l’homme) va être jeté dehors. Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Par ces paroles, il signifiait par quelle mort il allait mourir) » (Jean 12, 23-33)
La croix, si elle est d’abord instrument de torture, spectacle épouvantable, paroxysme de souffrances, victoire de la mort, est pour le croyant le signe que sa guérison et la Vie lui sont offertes.
Comme les Hébreux jadis devaient regarder le serpent de bronze pour être guéris par leur mouvement de retournement-conversion, ainsi désormais tous les hommes, jusqu’à la fin des temps, sont invités à lever les yeux vers le crucifié/élevé, vers l’écrasé/glorifié.
Celui qui a un regard de foi, qui voit en Jésus le Fils de l’homme glorifié, il est guéri, il est sauvé. Car Jean rappelait aussi l’autre prophétie de Zacharie :
« Ils regarderont celui qu’ils ont crucifié » (Zach 12, 10)
LA CROIX EST SIGNE D’AMOUR
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Dieu n’est pas un despote cruel qui a envoyé son Fils à la mort parce qu’il exigeait une victime expiatoire. Il l’a envoyé, homme parmi les hommes, pour qu’en se convertissant à sa Parole, ils vivent dans le Royaume : or ils ne l’ont pas reconnu et même l’ont exécuté. Mais en fait il se donnait car « il n’y a pas d’amour plus grand que de donner sa vie » et son Père a accepté ce don par amour pour nous.
Pour un regard de foi, la croix n’est pas image de souffrance maximale mais révélation de l’Amour fou de Dieu, donc salut, pardon et Vie divine.
QUELLE GUERISON ?
Stupéfiants et admirables sont les progrès de la médecine et heureux les malades qui voient quelque part le signe du bâton et du serpent : quelqu’un est là qui va tout faire pour apaiser leurs souffrances et les guérir. Le signe antique continue à rendre espoir aux malheureux.
Mais il y a des maladies bien plus graves qu’aucun médecin, aucun médicament ne peut guérir. Où guérir un cœur plein de haine, un esprit rongé par la vengeance, une main qui a assassiné ? Et comment interpréter la marée noire du mal, la souffrance des innocents, l’indicible angoisse devant la mort ?
La croix ne se dresse pas comme le monument de la souffrance, elle ne canonise pas le mal, elle ne prône pas la disparition de l’homme, elle n’inaugure pas une religion masochiste. Elle est, au centre de l’histoire du monde, le « tant amour » du Père, la glorification du Fils, la Source de la Miséricorde. Notre fierté. Notre « signe de croix ».