La Croix Glorieuse

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 14/09/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014


Vous connaissez très probablement le fonctionnement de Twitter, qui permet d’envoyer de brefs messages, sortes de SMS publics. Dans ce réseau social, un tweet ne peut dépasser 140 caractères… Et bien, si je devais choisir une phrase dans Saint Jean pour me risquer à ‘synthétiser’ son évangile —et former un tweet— je prendrais probablement cette phrase que nous venons d’entendre, et qui tient tout juste en 140 caractères : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique (…) non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Voilà bien un principe de vie que nous devrions méditer plus souvent. Et peut-être savez-vous que sur Twitter, pour chaque message, il est possible de lui associer des mots clés. Les messages sont donc liés grâce à ce qu’on appelle le hashtag, un petit symbole qui a la forme d’un dièse, une petite croix sous le signe duquel le message peut être classé.

La croix glorieuse que nous célébrons aujourd’hui, c’est —passez-moi l’expression— un peu notre hashtag à nous, le symbole qui vient mettre du lien dans notre histoire. Non pas un signe d’appartenance. Encore moins l’exaltation de la souffrance, mais la conviction intime qu’en Dieu, toute souffrance peut être relevée, portée. Mettre sa vie sous le signe de cette croix glorieuse, c’est oser poser une lecture confiante sur sa vie, sur les événements, une lecture qui s’interdit de donner au désespoir le dernier mot. Car la croix —si elle est instrument de torture— devient glorieuse pour le croyant qui ne s’y arrête pas ! Pour celui qui découvre que l’échec peut être traversé. La croix est salutaire non pour elle-même mais par l'amour qui s'y révèle et s'y vit. Telle est bien l’ambiguïté du symbole et du mystère que nous célébrons aujourd’hui. Ce n’est la croix qui est au centre. Mais l’amour qui s’y révèle. L’Evangile d’aujourd’hui, vient nous offrir un sens possible à nos chemins. Quelle que soit notre situation de vie, notre Dieu de patience vient sans cesse nous convier à l’espérance. Il y a toujours un dénouement heureux possible. Sage est celui qui, patiemment, persévère à croire en l’humain, au-delà de toute peur et de toute désespérance. Sage est celui qui se met sous le signe de la croix, qui ne se résigne pas face l’échec, mais persiste à voir le temps qui passe comme un lieu d’accomplissement possible.

L’histoire que nous avons entendue en première lecture retrace ce paradoxe. Dans la marche au désert, alors que le peuple d’Israël était attaqué par des serpents, Dieu donna ce remède à Moïse : celui justement de mettre un serpent de bronze sur un mât, pour que quiconque le regarde soit guéri. De faire justement du problème une solution. Un serpent enroulé autour d’un mât: voilà un symbole qui jusqu’à ce jour a toujours signifié la guérison. Et nous voilà face à ce paradoxe ! Pourquoi le serpent —source du mal, symbole même du mal— devient-il symbole de guérison ? Comme si le venin était salutaire…  Si Jésus nous sauve par sa croix, c’est parce qu’il nous montre un chemin qui assume notre humanité blessée. Notre humanité pleine et entière.
La croix glorieuse est bien le signe par lequel nous pouvons entretenir cet espoir tout simple : que nos fragilités, nos serpents peuvent être élevés, guéris, transformés, recrées.

Alors, la questions que l’Evangile nous adresse est toute simple : quels sont nos serpents, nos incohérences qui se mordent la queue, nos forces de mort qui nous tirent vers le bas, nos échecs, qui demandent à être glorifiées, transfigurées ? Nous sommes tous un peu, je crois, ophiophobes… Nous avons peur des serpents. Nous avons peur de ces serpents en nous… peur de ce qui est tapi au fond de notre être et qui n’arrive pas à s’éléver, peur d’une part blessée, déçue peut-être. Mais ces histoires que nous pensons enfuies peuvent être glorieuses.

Car de même que c’est en regardant le mât avec le serpent que le peuple d’Israël a trouvé la guérison dans le désert ; de même nous grandirons si nous nous montrons capable d’apprivoiser ces fragilités en nous-mêmes, où l’amour de Dieu vient toujours nous rejoindre !

Vraiment, pour celui qui met ses pas dans celui de Fils de l’homme, l’échec peut être traversé et la tristesse transfigurée en joie. Si le dicton populaire nous dit que ‘persévérer dans l’erreur est diabolique’, persévérer dans l’espérance malgré les épreuves, se mettre sous le signe de la croix glorieuse, nous fait toucher le coeur de l’Evangile. C’est garder le courage de vivre, croire en un horizon toujours nouveau dans notre quotidien. Au jour le jour, avec le hashtag de l’amour. Amen