24e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

Depuis combien de temps Jésus accomplit-il sa mission : quelques mois, un an ? Marc ne donne aucun repère chronologique. Mais nous voici arrivés au moment clef, au tournant décisif, au milieu de l'évangile. Car Jésus se trouve devant une situation bloquée.

Depuis son baptême, il ne cesse de proclamer son message essentiel : "Le temps est accompli, le Royaume de Dieu s'approche : convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle" (Mc 1, 15). Les gens l'écoutent, admirent ses miracles...mais ne demandent qu'une chose : une bonne santé, du pain gratuit et l'arrivée d'un messie qui foudroiera les ennemis. Les Pharisiens, eux, sont scandalisés par les audaces de ce villageois inconnu qui ose offrir le pardon des péchés, fréquente des pécheurs, et en prend à son aise avec le sabbat et les observances. Quant aux disciples, ils restent sans intelligence profonde et partagent les idées des foules.

Et puis il y a eu récemment la découverte, par Jésus, des populations païennes : ces gens aussi sont à sauver ! Alors Jésus décide une nouvelle excursion vers le nord :

Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages situés dans la région de Césarée-de-Philippe.

Au pied de la montagne de l'Hermon, près des sources du Jourdain, la région est très belle, la végétation abondante. Le Tétrarque Hérode Philippe y a entrepris la construction d'une ville dédiée à César, l'empereur Tibère. Beauté de la civilisation romaine, luxe...mais comment Jésus oublierait-il le souvenir de son baptême dans le Jourdain et de l'assassinat de Jean-Baptiste ?...

Chemin faisant, Jésus interroge ses disciples : Pour les gens, qui suis-je ?

Ils répondent : Jean-Baptiste...ou Elie...ou un des Prophètes.

Depuis le début, la question rebondit tout le temps : mais qui donc est ce Jésus ? Prédicateur itinérant, guérisseur, il doit être un envoyé de Dieu comme Isaïe ou Jérémie jadis. Mais on ne peut pas se contenter de colporter des rumeurs, de répéter des opinions qui circulent. Jésus accule les siens à exprimer leur conviction personnelle :

-  Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ?

-  Pierre prend la parole : " Tu es le MESSIE".

Il leur défendit alors vivement de parler de lui à personne.

C'est la toute première profession de foi des disciples, dont Pierre se fait le porte-parole :. Non, Jésus n'est pas qu'un thérapeute, un prophète, un sage : Il est le MESSIE - en grec : le CHRIST - le Roi promis par les Ecritures, OINT par Dieu pour inaugurer son Royaume de justice et de paix. Mais, une fois de plus, consigne est donnée de ne pas le proclamer car, sous l'occupation ennemie, les foules guettent la venue d'un messie-roi guerrier qui luttera pour recouvrer l'indépendance nationale.

C'est alors que soudain éclate la nouvelle stupéfiante, la révélation à laquelle personne ne pouvait s'attendre !

Et pour la 1ère fois, il leur enseigna qu'il fallait que le Fils de l'Homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les Anciens, les Chefs des prêtres et les Scribes, qu'il soit tué et que, trois jours après, il ressuscite. Jésus disait cela ouvertement.

La foudre aux pieds des apôtres ferait moins d'effet ! Jamais on ne leur avait appris que le Messie pourrait avoir telle destinée. Jésus commence un enseignement tout neuf et il y restera fidèle, en acte, jusqu'au bout. C'est précisément cette fidélité totale au Dessein de son Père qui va faire juger aux Autorités de Jérusalem qu'il blasphème et qu'il faut l'exécuter.

IL FAUT : Dieu n'exige pas le sacrifice expiatoire de son Fils, il n'y a pas une machinerie fatale en route. Il lui faut être vrai, réaliser une mission sans compromission, dénoncer le mal même au c½ur de l'institution religieuse, s'acharner à abattre un système mensonger, révéler le véritable visage de Dieu. Il s'ensuit que certains n'accepteront jamais et seront capables du pire, du meurtre !

Mais la Vérité triomphera : Jésus ne marche pas à l'anéantissement. Il ne doute pas que son Père lui rendra la Vie que les hommes lui enlèveront. C'est l'espérance qui l'entraîne.

Ce message évidemment est incompréhensible, intolérable !

Pierre prend Jésus à part et se met à lui faire de vifs reproches.

Mais Jésus se retourne et voyant ses disciples, il interpelle vivement Pierre : " Passe derrière moi, satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes ! "

C'était si agréable d'accompagner Jésus dans ses grandes tournées : les acclamations populaires rejaillissaient sur ses disciples si fiers de marcher à sa suite ! Et puis Pierre aime Jésus, il ne veut pas qu'on le tue. Jamais ça ne t'arrivera ! ...

Ah ! que l'Eglise a de la peine à se convertir à "ce nouveau message". Déployer les fastes du culte, accroître le nombre d' adeptes, guider le monde, faire du bien, multiplier les constructions, s'attirer la bienveillance du Pouvoir politique, présenter un Dieu puissant... : les successeurs de Pierre rêveront toujours d'un Vatican éblouissant.

Impitoyable, Jésus rembarre "son pape" : vouloir un christianisme sans croix, c'est diabolique ! Ce n'est pas à toi, Pierre, de guider l'Eglise, mais au seul Seigneur. Il va à la véritable gloire, celle de Dieu son Père, mais par le seul chemin possible : la faiblesse, l'échec et la mort.

Et ce chemin n'est pas que le sien, il n'est même pas réservé aux apôtres : il s'adresse à tout être humain :

Appelant la foule avec ses disciples, Jésus dit : " Si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l'Evangile, la sauvera".

SI... : Jésus a compris et il est décidé à assumer sa vocation jusqu'au bout. Il sait qu'il n'y a pas d'autre chemin pour l'homme et il la propose à tous. SI...car on ne peut croire que dans la liberté.

" Prendre sa croix" : Marc écrit bien des années plus tard, il connaît les événements arrivés à Jérusalem. Depuis lors l'expression est passée dans le langage chrétien : il ne s'agit pas de s'infliger des souffrances, d'inventer des tortures mais de subir les attaques et les condamnations de ceux qui refusent le message de Jésus...même si ces gens s'affichent "religieux".

Renoncer à soi : non qu'il faille se mésestimer, se mépriser mais il est requis de renoncer à ses conceptions "naturelles" (comme Pierre) pour adopter celles du vrai Messie. En dépit des apparences, de tout ce qui nous accroche à la vie présente, Jésus nous assure que vouloir réussir son existence à tout prix, ici-bas, selon les conceptions "mondaines", c'est se vouer à la perte. Au contraire décider d'obéir à l'Evangile et aimer jusqu'à la croix, c'est VIVRE.

Et vous vous étonnez que dans nos CESAREE modernes, croulant sous le luxe,

on se détourne de ce message insupportable ?...