Près de Césarée-de-Philippe, la nouvelle ville païenne, Jésus a pris l'option radicale et nécessaire : il va affronter ses ennemis qui veulent sa mort. Le grand voyage vers Jérusalem, du nord au sud, est commencé : il se poursuivra jusqu'à la fin de l'évangile. Huit jours après l'annonce de la Passion, sur une montagne, son Père confirme Jésus dans sa décision et lui offre le gage de sa Gloire future (scène de la Transfiguration- omise dans la liturgie de cette année). Le récit continue :
2ème ANNONCE DE LA PASSION
Jésus traversait la Galilée avec ses disciples et il ne voulait pas qu'on le sache. Car il les instruisait en disant : " Le Fils de l'homme est livré aux mains des hommes : ils le tueront et trois jours après sa mort, il ressuscitera". Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l'interroger.
Fini le temps des tournées populaires à travers la Galilée et des enthousiasmes ambigus à propos des guérisons. Jésus tient à passer incognito sans plus être retenu par des foules qui ne voient en lui qu'un bienfaiteur qui distribue des avantages immédiats. Et puis le temps presse. Désormais Il se consacre à son "enseignement nouveau" et inouï : la Passion nécessaire pour lui...et ceux qui le suivent !
Jésus n'a eu nul besoin d' une révélation spéciale. Rappelons-nous que très vite, des gens choqués par son comportement avaient alerté Jérusalem qui avait délégué quelques théologiens. Tout de suite ces spécialistes avaient diagnostiqué que ce curieux charpentier était "possédé de Belzébuth" (3, 22) et ils avaient été scandalisés par son mépris des traditions (7, 1). Donc les Autorités religieuses suprêmes de la capitale ont dû être prévenues : "le cas Jésus" est extrêmement grave, on ne se contentera pas d'en sourire.
Les annonces de la Passion qui scandent tout l'itinéraire laissent les disciples désemparés. Après que Pierre ait confessé Jésus comme le Messie, ils ne parviennent pas à saisir la nécessité de sa mort. Et même, dans la peur de trop bien comprendre, ils se gardent de demander des éclaircissements et ils craignent d'interroger le Maître.
Allons-nous leur en vouloir, nous qui les imitons en désirant une foi paisible, une religion-cocon, une Eglise imposante, et qui fermons l'oreille quand des Saints nous répètent sans cesse qu' "il faut" donner sa vie pour aimer jusqu'au bout ?
ENSEIGNEMENT PRIVÉ AUX DISCIPLES
Ils arrivèrent à Capharnaüm et, une fois à la maison, il leur demandait :
" De quoi discutiez-vous en chemin ?".....Ils se taisaient car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.
On repasse dans la ville au bord du lac, à la maison qui avait été naguère le centre de rayonnement missionnaire à travers la Galilée. Maintenant elle sert à la formation privée des douze.
En route, selon la coutume des rabbins, Jésus marchait seul en tête, suivi à quelque distance par le groupe de disciples. Ce jour-là, le vent lui a apporté des bribes d'échanges plutôt animés qui éclataient derrière lui. Avec un petit sourire peut-être, Jésus leur demande de quoi ils discutaient. Gênés, ils gardent le silence. Mais Jésus a bien entendu : ils se chamaillaient sur l'ordre des préséances !!!
Depuis qu'il a constitué ce groupe spécial de 12 hommes et qu'il a mis à leur tête ce pauvre pêcheur de Simon qu'il a nommé "Roc, Pierre", cette décision ne semble pas bien acceptée. En effet, parmi eux, il y a sans doute des hommes d'origine sociale plus élevée, ou qui ont fait des études et qui s'estiment plus aptes à commander que ce frustre ! Et d'ailleurs on se dirige vers Jérusalem où, bien évidemment, Jésus ne va pas mourir, comme il l'a dit, mais instaurer le Royaume. Alors qui sera le meilleur pour collaborer avec lui, pour assumer les responsabilités du pouvoir ? Comment se fera le partage "des porte-feuilles" ?...
Les évangiles relèvent toujours deux grands défauts des apôtres : ils ne comprennent pas la portée des enseignements de leur Maître et ils se jalousent. Les deux sont liés bien entendu...et persistent encore !!
Que se chuchote-t-il encore entre les monsignori du Vatican et dans les couloirs des évêchés ???...
S'étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : " Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous".
Le maître s'assied : signe qu'il va dispenser un enseignement très important. Mes amis, vous avez de l'ambition ? Vous cultivez de grands désirs ? Très bien car il est besoin d'avoir des responsables, des guides, des dirigeants. Mais dans ce cas, veuillez agir en sens contraire du monde. Pas le trône mais le tablier. Pas la couronne mais le balai. Pas l'autoritarisme mais le service. Pas l'enrichissement mais la pauvreté. Et pour servir non seulement vos amis ou quelques privilégiés du système mais tous, sans nulle discrimination.
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d'eux, l'embrassa et leur dit : " Celui qui accueille en mon Nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille, ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé".
Le geste de Jésus nous semble normal, nous qui vivons au temps de "l'enfant-roi", adulé, mis au pinacle. Mais dans l'Antiquité, si on aime les petits, il faut qu'ils restent à leur place, la dernière. Ils sont ignorants et dépendants en tout, ils n'ont pas droit à la parole, ils sont exclus du monde des adultes. Avec leurs ambitions rentrées, "les grands" que sont les apôtres ont dû trouver la leçon saumâtre.
En embrassant ce petit et en le plaçant "au milieu" du groupe, Jésus s'identifie à lui - parabole en acte pour faire comprendre comment le Seigneur est bien "au milieu" des siens, non comme un Maître tout-puissant et majestueux mais au contraire comme "un petit".
C'est la faiblesse et non la puissance qui doit réguler les rapports entre les disciples. Accueillir au nom de Jésus, cela veut dire "dans la foi" - telle qu'elle ressort désormais de "l'enseignement nouveau" de Jésus : il faut renoncer à soi-même, porter sa croix et le suivre ..."Car celui qui perd sa vie pour l'Evangile la sauve"(cf. l'évangile de dimanche passé).
Reconnaître dans le croyant la faiblesse, la petitesse de Jésus, c'est voir Jésus dans le frère ou la s½ur qui a renoncé à l'ivresse des ambitions et au combat des rivalités.
Et celui qui accueille Jésus tel qu'il se révèle comme serviteur, il perd ses rêveries idolâtriques d'un royaume conçu sur le modèle des tyrannies de ce monde pour entrer dans le véritable royaume du "Père de Jésus" : là il n'est plus permis de se disputer en vue d'acquérir les places du premier rang mais tous et toutes se voient comme fils ou filles du même Père.
Tel est le projet de Dieu que Jésus veut réaliser et pour lequel il est prêt à donner sa vie. Telle est l'existence que ses amis doivent adopter. Ce n'est pas une option facultative.
Orgueil, vanité, jalousie sont à exclure absolument