24e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012


Au c½ur de l'histoire humaine, une voix ne cesse de poser la question « Pour vous, qui suis-je ? ». Et cette question est insolite. Les grands de ce monde ne posent pas de question, ils imposent leur identité. Ils se donnent à eux-mêmes des titres, il s'auto-affirment : Empereur, Roi, Pape, Cardinal, Président, Secrétaire Général...  se font appeler Sa Majesté, Sa Béatitude, Son excellence ou même Sa Sainteté... (quelques fois je plaisante, en disant « sa pro-éminence »...)

Aujourd'hui, une voix intérieure, très humble, nous pose simplement une question. Elle n'impose rien, elle sollicite notre réponse, comme un murmure en notre c½ur : « Pour toi, qui suis-je ? » Qu'est-ce que je représente pour toi ? Avec quels mots parles-tu de moi ? Elle nous laisse inventer nos propres images, à risquer nos pauvres mots, nos propres concepts, plus ou moins adaptés, pour dire sa vérité.

Ainsi donc, tout d'abord, c'est une vérité qui n'est pas définie puisque c'est une question, une mise en question, c'est une vérité infinie. Elle n'est pas fixée une fois pour toutes, elle est vivante et mobile suivant les cultures, les langages, les accents. Elle n'est pas objective mais subjective car cette vérité est elle-même un sujet, c'est quelqu'un : « Je suis la Vérité et la Vie ».

Ensuite, c'est une vérité qui ne se protège pas. Il n'est pas impossible que, dans notre réponse, il y ait des approximations, voire des erreurs. Qui peut dire en quelques mots l'identité de Jésus-Christ alors qu'il a fallu plus de quatre siècle et des Conciles agités pour aboutir à notre Credo ? C'est une vérité qui peut être altérée, défigurée, caricaturée. C'est tout le risque que l'on prend à jouer la réciprocité. On dépend de l'interlocuteur, on vit en relation. Si je lui demande qui je suis pour lui, il peut me mépriser, il peut aussi radicalement me nier.

Pour vous, qui suis-je ? nous demande Jésus-Christ et, à travers lui, le Dieu vivant. Il aurait pu nous imposer des réponses : le Fils de Dieu, le Verbe créateur, la deuxième personne de la Trinité. Mais non, encore une fois, il se présente comme une question. Et je vous invite à méditer ce fait car la manière dont on se présente correspond souvent à son identité.

Il est la question posée au monde. Parce qu'il est source de liberté et relation de réciprocité.  Découvrir le Dieu de Jésus-Christ, c'est faire l'expérience de l'amour et l'amour ne peut jamais s'imposer, il suppose la liberté. Et l'amour est vulnérable, il peut être nié.
C'est pourquoi Pierre se trompe, quand il refuse l'annonce de Jésus : « qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu'il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite. »  Cela fait partie de son identité, de sa nature, de sa vérité. Il est la « Résurrection et la Vie »  et cela veut dire qu'il peut souffrir beaucoup, être rejeté, condamné, tué, nié. Ce qui n'empêche pas qu'il est la relation d'amour et qu'il est la Résurrection car la vie donné rebondit dans le pardon. Celui qui ne vit plus pour lui-même, vit décentré, par l'autre qui l'aime, il est dans la relation de réciprocité qui ne finira jamais.

Nous sommes invités à méditer profondément cette révélation si nous voulons, comme Pierre et l'Eglise tout entière, annoncer la foi au Christ crucifié-ressuscité. Au lieu d'un catéchisme qui répondrait à toutes les questions par mode d'affirmation, il nous faut entrer dans la pédagogie de Jésus qui laisse découvrir peu à peu son identité, à travers ses actes et les signes qu'il fait. Au lieu de vouloir protéger la vérité, comme le faisait jadis l'inquisition, nous devons accepter que cette vérité soit approchée progressivement, imparfaitement, qu'elle soit même très souvent défigurée, parce qu'elle est d'abord respect de notre liberté et qu'elle ne veut surtout pas s'imposer.

Alors nous serons peut être de vrais chrétiens. Notre religion n'est pas une religion de soumission. Elle éveille à la réflexion, elle suscite des questions. Et notre réponse ne peut pas être limitée à des mots ni à des idées, c'est toute notre vie. Pierre a répondu juste au plan théorique. Il s'est trompé dans la pratique, mais à la fin de sa vie, il entrera pleinement dans la dynamique de Jésus et témoignera lui-même aussi sur la croix, la tête en bas.