« Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille ». Ce geste et cette phrase de Jésus nous semble aujourd'hui bien sympathique et en recevons très volontiers la leçon. Mais dans le contexte où Jésus a posé ce geste, il devait apparaître comme déplacé et même choquant. En effet, dans l'Antiquité, l'enfant n'était pas considéré pour ses qualités d'enfant mais uniquement comme futur adulte. Dans ce geste de Jésus, ce sont bien les qualités de l'enfance que Jésus « met au milieu », donne comme référence. Et non point seulement comme une petite leçon de pédagogie nouvelle mais comme condition indispensable, incontournable, pour prétendre accueillir Dieu dans sa vie. « Accueillir Dieu », c'est-à-dire comprendre quelque chose de Dieu, comprendre le type de relation, le type de rapport dans lequel nous devons être avec lui, qu'il attend de nous pour se laisser connaître, qu'il nous indique lui-même comme la voie pour entrer dans son intimité.
Quelle est, quelles sont ces qualités d'enfance que Jésus « met au milieu » ? Elles ne sont pas citées ici mais on peut les identifier grâce à d'autres textes sur le même sujet, par comparaison ou par contraste. Une qualité absolument essentielle est la capacité de confiance. Pouvoir faire confiance est une condition essentielle pour grandir, tous les pédagogues le diront. C'est cette relation-là que Dieu veut avec nous, que nous devons vouloir avec lui, et non une relation de soumission, de ritualisme, de marchandage ou de partage de pouvoir.
Or l'accès et le partage du pouvoir, voilà le lieu où ont l'air de se situer les disciples. En sélectionnant cette scène-là parmi tant d'autres, l'évangéliste ne vise-t-il pas (déjà !) un problème dans l'Eglise primitive ? Et qu'en est-il maintenant ? Et qu'en est-il parmi nous ? Pas seulement en Eglise mais dans nos relations professionnelles ou sociales ? Il n'y a pas de pouvoir à partager dans ce drôle de Royaume qu'est le Royaume de Dieu. Il n'y a que différentes manières de servir. Ce n'est pas le mot « doulos » (serviteur-esclave) qui est utilisé ici mais le mot « diakonos » (le serviteur volontaire pour une tâche noble). Et l'aide aux petits, aux faibles, aux nécessiteux, était mis sur le même pied, du point de vue de la noblesse de la tâche, que le service eucharistique.
Si, comme les disciples de l'époque, on en est à discuter des pouvoirs à prendre ou à répartir comme des postes ministériels dans un Etat-bananier, on ne peut rien comprendre à ce que Jésus est venu faire ici. Jésus a des ennemis parce que, n'ayant rien compris à cette nouvelle manière de voir les choses, ils ne peuvent voir en Jésus qu'un concurrent à leur propre pouvoir qui, lui, est un pouvoir de sujétion, de coercition. Jésus n'a pas d'amis à ce moment, pas même les disciples, parce qu'ils n'ont pas encore compris qu'il s'agissait de remplacer un esprit de pouvoir par un esprit de service ; un service douloureux puisqu'il va passer par l'humiliation et la souffrance mais un service glorieux puisqu'il se révèlera porteur de salut. Mais faut-il vraiment qu'à chaque génération le Christ doive dire : « Le Fils de l'homme est livré aux mains des hommes », à la cupidité, à la jalousie, à la rivalité des hommes (comme le stigmatise aussi l'épître de Jacques) et que « ceux qui méditent le mal » (comme les dénomme le livre de la Sagesse) se permettent toujours cette arrogance insolente vis-à-vis du juste, du serviteur du Royaume de Dieu ?
On pourrait être tenté de désigner les bons et les mauvais, les justes et les impies dans ce combat. L'épître de Jacques nous rappelle utilement : « n'est-ce pas justement en vous-mêmes que se passe ce combat de tous ces instincts ? ». Alors, réglons d'abord ce combat en nous. Faisons-le en remettant « au milieu de nous » l'enfant qui se sait fils et qui reconnaît le Père comme Père.
25e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Sélis Claude
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012