24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA PARABOLE DU VRAI DIEU

Que dire qui n'ait été dit mille fois au sujet de cette célèbre parabole dite « de l'enfant prodigue » ? Mais d'abord rectifier son titre car il y a deux fils et c'est au premier, l'aîné, que l'histoire s'adresse. Et surtout il y a l'immense, la pathétique, la douloureuse figure du père qui souffre d'être méconnu et de ne pouvoir réunir ses deux enfants. Et au fait,  pourquoi n'y a-t-il pas de mère ? On verra qu'elle est bien là, cachée.

LA SITUATION : JESUS CRITIQUÉ

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : «  Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole :...
Jésus n'est pas en train, comme un maître pharisien, de rappeler les listes des prescriptions de la loi. Si les pécheurs s'approchent de lui pour l'écouter avec intérêt, c'est donc qu'il tient un autre discours : il ne fait pas la morale, il présente un Dieu de pardon. Toutefois il n'offre pas une religion laxiste, édulcorée, un laisser-aller facile. Pas simple pour l'Eglise d'imiter son Seigneur. Trop souvent on l'entend prendre un ton sévère, dogmatique, moralisant et les pécheurs la fuient. Mais par ailleurs, si les chrétiens et les prêtres mangent et rient avec les pécheurs, ils donnent l'impression sinon de les approuver, en tout cas de minimiser leurs fautes et de laisser penser qu' « au fond Dieu n'en demande pas tant ».  Or il faut souligner que si Jésus « parle aux pécheurs et mange avec eux », il ne les approuve nullement et il n'agit de la sorte que pour les amener au changement. Il  est empoigné par le devoir de tout faire afin de retrouver « le perdu ». Sa joie n'est folle que parce que le perdu est « retrouvé ». Le repas chez Lévi était joyeux parce que l'ancien publicain s'était converti (5, 29) ; le festin chez Zachée sera réussi parce que le voleur décidera sur le champ de changer de vie (19, 10). La mission se doit de conjuguer vérité et charité, enseignement et commensalité. Dans le partage de nourriture, la parole ne peut être dure et exclusive. Le banquet est appel à la communion.

LE PARCOURS DU CADET

« Père, donne-moi ma part »...Et il partit pour un pays lointain...Il gaspilla sa fortune dans une vie perdue...Or une famine survint. Il se trouva dans la misère. Il dut aller s'embaucher pour garder les cochons...Il aurait voulu manger les gousses mais personne ne lui donnait rien... »
« Si Dieu est, je ne suis pas libre ». Tentation permanente de ne croire devenir un vrai homme, enfin libre, que si l'on « tue le père ». Or, si l'on rejette l'être, il n'y a plus de fondement à l'existence que dans l'AVOIR. « Donne-moi », crie le garçon: avoir la fortune pour être heureux dans la satisfaction de ses envies. Mais sans l'ETRE, l'AVOIR se révèle une chimère : si puissant paraisse-t-il, il fond, se dissout, disparaît. Car dans ce « pays lointain » (loin de Dieu), il n'y a pas d'amour vrai : le cadet n'a pas trouvé d'épouse aimante et son patron l'exploite. On peut faire une société sans Dieu mais sera-t-elle vraiment humaine ?
Il réfléchit: «  Les ouvriers chez mon père ont du pain, moi ici je meurs : je vais retourner, je lui dirai : « Père, j'ai péché ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils ; traite-moi comme un ouvrier ». Et il partit...
Il ne ressent nul remords d'avoir peiné son père dont il garde toujours la même fausse idée : « quelqu'un qui donne, quelqu'un qui châtie ». S'il revient, c'est par intérêt encore, pour survivre. Sans doute en chemin cherche-t-il à rencontrer quelqu'un qui le nourrirait et lui épargnerait l'humiliation du retour : mais personne ne lui donne rien. Car seul Dieu peut donner la Vie, la vraie Vie, aux hommes qui sont ses enfants.

LA PLUS BELLE IMAGE DE DIEU

La scène suivante devrait à tout jamais anéantir toutes les caricatures de Dieu que nous inventons.

Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut bouleversé aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. « Père, j'ai péché.... ». Mais son père dit : «  Vite, apportez son plus beau vêtement, une bague, des sandales. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la Vie ; il était perdu et il est retrouvé ». Ils commencèrent la fête.

Accueil stupéfiant, inimaginable. Loin de fermer sa porte, de déchainer sa colère, d'exiger « la contrition parfaite » et une dure pénitence, Dieu est non pas « pris de pitié » mais « ému aux entrailles » : le verbe vient du mot « matrice ». Voici donc la mère qui manquait. Le fils fuyait un maître écrasant : il découvre un amour de miséricorde. Dieu est comme le bon Samaritain : il s'approche, il voit, il est « matricié »(Chouraqui), il court, il soigne par les baisers, il couvre de cadeaux, il conduit à l'auberge, à la maison. C'est ainsi que Jésus justifie sa conduite. Voilà pourquoi je vais vers les pécheurs et pourquoi je mange avec eux : c'est parce que je suis bouleversé par la détresse de l'homme sans Dieu. Si vous avez une autre image de Dieu (une Loi !), elle est fausse ! Or précisément les pharisiens sont enfermés dans cette conception : le fils aîné va les représenter.

L'AINÉ : LE FIDÈLE OBSERVANT IRRÉPROCHABLE.

L'aîné était aux champs. Arrivé près de la maison, il entend de la musique. Un domestique lui explique : «  C'est ton frère qui est revenu : ton père a tué le veau gras... ». Alors il se mit en colère et refusa d'entrer. Son père sortit et le suppliait. Il éclate : « Voilà tant d'années que je te sers : jamais tu ne m'as donné un chevreau. Et quand ton fils arrive, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer le veau gras !!?? ».Le père répondit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ! Mais il fallait festoyer et se réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie ; perdu, il est retrouvé ». 
Les pharisiens étaient des hommes très pieux, ulcérés de voir tant de leurs frères désobéir à la Loi divine ; en réaction, ils se voulaient des observants minutieux, pratiquant à la lettre tous les préceptes, en en rajoutant même pour montrer leur foi. Pour eux, le pécheur était abominable devant Dieu : il devait se convertir, s'infliger toutes les pénitences prévues par la Loi. Aussi voir Jésus offrir le pardon avec  une telle facilité ne pouvait leur apparaître que comme un scandale. L'aîné refuse d'entrer dans cette maison où l'on fête le retour d'un pécheur - fût-ce son frère ! Dieu pour moi mais pas pour l'autre.

TOUS PECHEURS : TOUS INVITES GRATUITEMENT

Les deux frères ont une fausse idée de Dieu : l'un veut se justifier par ses actes et l'autre veut s'épanouir dans ses passions. Pour les deux, Dieu est quelqu'un qui étouffe, qui doit donner ou qui réprime.
Et Jésus tente de leur révéler QUI EST-CE PERE : il est heureux de voir ses fils demeurer dans sa maison et vivre comme il le demande. Mais il est encore plus heureux lorsqu'il voit revenir un de ses fils qui s'était éloigné de lui et qui lui revient. Dieu donne une Loi mais il n'est pas un Dieu de règlements. Sa joie est d'offrir sa miséricorde à tous. De libérer le pécheur du désespoir. Et de persuader le fidèle qu'il ne peut rester fils du Père qu'en acceptant le pardon donné à son frère déchu.
La Joie de Dieu est de réunir dans la même demeure le bon pratiquant et l'impie. Seul il peut créer une communauté chrétienne où personne ne se targue de ses mérites, où nul ne ferme la porte à l'autre, où chacun se reconnaît pécheur pardonné.
Les deux fils représentent également la déchirure qui est en nous. Chacun est en même temps juste et pécheur : nous faisons le bien et nous tombons aussi dans le mal. Nous sommes déchirés. Seul Dieu le Père, Dieu l'Amour nous réconcilie avec nous-même.
L'Eglise, publicaine et pharisienne, pratiquante et pécheresse, est invitée au banquet offert gratuitement à tous ceux qui acceptent le pardon de Dieu et célèbrent dans une allégresse infinie ce Père tellement différent de nos conceptions mesquines. Et le banquet ouvert est celui où Jésus, l'Agneau innocent immolé, est partagé pour qu'ensemble nous chantions la Miséricorde de Notre Père.