Un dimanche à la fin de la messe, un jeune paroissien s'avance vers le curé qui le reconnaît car il avait célébré son mariage six mois auparavant. Comment cela va-t-il ? s'enquit le curé. Justement, répondit le jeune homme, j'ai une question à vous poser. Trouvez-vous normal que quelqu'un puisse profiter des erreurs des autres et pire encore en tirer un certain bénéfice pécuniaire ? Le curé réfléchit quelques instants puis d'une voix claire affirma que ce n'était non seulement pas normal mais pire encore tout à fait immoral. Je me réjouis de votre réponse, reprit le jeune homme. Si vous êtes en cohérence avec vos propos, voulez-vous bien me rendre les 200 euros que je vous avais donnés il y a six mois pour célébrer mon mariage. Et voilà comment, en quelques mots, la dynamique économique mal comprise peut envahir et contaminer la vie de quelqu'un. Cette dynamique économique-là semble de plus en plus omniprésente et influence, parfois de manière insidieuse, nos comportements. Je m'explique. La publicité faite par plusieurs marques de magasins nous invitent à comparer les prix et si nous trouvons moins chers ailleurs, ils nous remboursent la différence. Lorsque cela touche notre porte-monnaie, nous ne pouvons que nous en réjouir mais, puis-je me permettre d'insister, cela n'influence-t-il pas d'une manière ou d'une autre notre façon de vivre ? N'entrons-nous pas sans toujours nous en rendre compte dans une dynamique de la comparaison ? Un dicton de notre langue française semble confirmer cela : « l'herbe est toujours plus verte chez le voisin ». La comparaison fait partie de nos vies et elle est souvent signe de sagesse car elle nous apprend à faire des choix judicieux. Là où le bât blesse, c'est lorsque la comparaison est érigée en philosophie de vie, c'est-à-dire lorsque nous nous mettons à tout comparer, comme si nous étions tous les mêmes. Or, la vie nous apprend que nous sommes toutes et tous des êtres uniques avec leurs forces et leurs fragilités. Nous avons reçu certaines qualités, d'autres nous font défauts. Nos intelligences rationnelles et émotionnelles varient d'une personne à l'autre et c'est tant mieux puisque c'est dans la rencontre des différences que l'amour peut trouver sa place et se réaliser. Ce qui est frappant dans la dynamique de la comparaison, c'est que, de manière naturelle, nous aimons plutôt comparer avec celles et ceux qui ont plus que nous plutôt que de nous réjouir de ce que nous avons déjà par rapport à celles et ceux qui n'ont pas notre chance. Nous entrons dans une spirale du « toujours plus et dans une certaine mesure, le plus vite possible ». Si nous poussions cette logique de la comparaison jusqu'à son paroxysme, nous pourrions aller jusqu'à estimer que nous avons un droit à réclamer le même traitement tout en niant nos différences, notre altérité. La justice que nous proclamerions serait un lieu de fermeture dans lequel nous deviendrons prisonniers de nos attentes inassouvies. Cherchant à toujours comparer, nous nous centrerons alors sur nous-mêmes uniquement ; une voie sans issue, il va sans dire. Or la vie n'est pas un droit mais un don. Lundi passé, juste après la messe de la rentrée académique de notre université, j'ai eu une conversation avec le Cardinal Danneels et sachant qu'il avait subi un triple pontage il y a une dizaine d'années, je lui ai demandai ce que cette opération avait changé en lui. Il me répondit ceci : « dans la vie, il y a les pontés et les pontables. Quand on est un pontable, on pense que la vie est un droit alors que lorsque l'on est ponté, nous découvrons que la vie est un cadeau de chaque jour ». En conséquence, une certaine idée de justice avec ses droits sans devoir risque de nous enfermer à jamais. Nous serions comme les ouvriers de la première heure qui estiment avoir des droits alors que leur contrat a été respecté. La dynamique divine s'inscrit quant à elle dans le champ de l'amour et de la tendresse. Elle s'ouvre de manière lumineuse vers quelque chose de plus grand, de plus beau : la reconnaissance. Dieu dans sa bonté nous conduit sur le chemin de la reconnaissance en nous permettant de nous ouvrir à l'autre qui se fait proche de nous. Dieu ne calcule pas, il nous donne de surcroît, en abondance. Que nous soyons en bonne santé ou en train de traverser l'épreuve de la maladie ou du deuil, il nous convie à toujours nous ouvrir à l'autre en découvrant dans la simplicité de petits gestes quotidiens, les signes de sa tendresse offerte à nous par le biais de celles et ceux qui nous accompagnent. En ce sens, la vie n'est pas un droit mais un cadeau aux mille lumières. Puissions-nous toujours en déceler les petites étincelles qui éclairent nos vies tout au long de notre pèlerinage terrestre.
Amen