25e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Cette parabole dite de l'Intendant malhonnête ou mieux du gérant habile et avisé surprend toujours. Certains chercheurs, déconcertés par l'éloge de cet étrange comportement évangélique : un maître trompé qui fait le panégyrique de son fripon d'intendant, ont fait remarquer que les intendants de l'époque étaient mal payés et qu'ils se constituaient donc leur salaire sur le dos des débiteurs de leur maître. Ils majoraient ces dettes à leur propre profit et en gardaient l'excédent. Autrement dit l'homme de la parabole serait, lui, tout simplement honnête puisqu'il aurait ramené les dettes à ce qu'elles étaient en réalité !

Laissons ces considérations car l'histoire fait aussi écho si l'intendant est vraiment malhonnête et, comme le dira Jésus, tout autant avisé et débrouillard. Jésus, comme souvent, est parti d'un fait divers connu. Il raconte l'histoire d'un homme aux abois et qui sait que demain il va tout perdre. Il ne lui reste que quelques heures pour éviter la catastrophe. Il aurait pu, une dernière fois, essayer de pressurer les débiteurs de son maître mais il préfère tenter le "tout pour le tout". Il place son joker dans un autre choix avec l'espoir de lendemains plus cléments. Et, ce que Jésus admire ici c'est le risque que cet homme a pris et la lucidité dont il a fait preuve pour assurer son avenir. Un risque dont Jésus et St. Luc aimeraient que les chrétiens sachent le prendre quand l'enjeu n'est pas moins que le ciel, l'issue ultime de la vie et l'accueil dans les demeures éternelles.

Avant son aspect moral, la question est ici religieuse. Il s'agit de l'homme face à Dieu. Soyez de vrais enfants de lumière dit Jésus. Prenez-en de la graine, enseigne St. Luc. Tout au long de votre vie vous êtes dans la même situation que cet intendant. La crise qui vous menace est même incomparablement plus redoutable. Le danger est là ! Il faut vous tenir prêt ! Prêt à quoi ? Etes-vous prêt à me choisir, à marcher à ma suite, voilà pour les auditeurs. Etes-vous prêt à jouer votre destinée sur votre foi au Christ, voilà pour les croyants de tous les temps. Si cet intendant, peut-être malhonnête, est surtout avisé et loué comme tel, c'est parce qu'il a compris l'aspect critique de l'homme face à son destin. C'est parce qu'il a agi avec intelligence et audace pour se faire une vie nouvelle. Pour nous la vie nouvelle, c'est opter pour Dieu et dans la foi pour Jésus. La parabole est un appel à agir avec détermination dans une situation pleine de menaces. Il ne faut pas laisser courir les choses en face de l'exigence qu'est l'enjeu d'une vie. Il n'est pas de faux-fuyant. Il s'agit de tout risquer quand il s'agit de son salut éternel. Que les fils de lumière se comportent avec la même lucidité et la même habileté dans l'arrangement de leurs affaires spirituelles et vis-à-vis des valeurs du Royaume que cet intendant rusé dans ses affaires terrestres !

Ah ! Nous dit la Parabole, si nous pouvions montrer autant d'audace, d'intelligence et de sagacité pour chercher le salut de Dieu que les possédants pour augmenter leur chiffre d'affaires !

Ah ! Si nous étions aussi malins pour attirer des frères à l'Evangile que l'Intendant astucieux pour s'assurer les bonnes grâces de ses débiteurs complices. Nous pouvons découvrir dans cet homme riche Dieu lui-même qui nous laisse la régence du monde et dans l'intendant, toute l'humanité, les fils de ce siècle, mais aussi, Jésus lui-même qui nous remet nos dettes. Dans les débiteurs, nous reconnaissons l'humanité pécheresse. Ainsi dans cette parabole, Dieu nous dit : devant l'enjeu d'une vie si courte, l'imminence toujours possible de la mort, sortez de votre état habituel de distraction, restez attentif aux choses de Dieu, prêt à vous convertir, prêt à changer de vie ! C'est la première leçon de cette parabole.

Mais, dans cette parabole, il y a une seconde leçon. En appliquant la parabole à la communauté chrétienne primitive, St. Luc déplace apparemment l'accent de son aspect théologique de l'homme face à Dieu, à son application morale de l'homme face à l'argent. Pour Luc, le rapport de l'homme à l'argent va devenir un test révélateur de l'accueil du Royaume. Et cela tout au long de l'évangile.

Pas question pour Luc d'innocenter l'argent et le gérant, tous les deux sont trompeurs. Même l'usage honnête de l'argent est risqué car à s'enfoncer dans les biens matériels on peut s'éloigner de l'écoute de la parole de Dieu. De même que ce régisseur avisé a su se faire des amis dans le monde, sachez vous faire des amis dans l'autre monde, non en trafiquant l'argent malhonnête, mais en vous en dépouillant au profit des pauvres.

L'unique moyen d'utiliser cette richesse-là, c'est de vous en défaire, c'est-à-dire de l'utiliser au bien de tous. L'unique moyen de vous sanctifier de son contact impur, c'est de le partager, de l'envoyer, ce faisant, vous attendre au Paradis, dans les tentes éternelles. Ainsi, notre jugement prudent à l'égard de l'argent, c'est-à-dire notre bonté à l'égard des autres nous garantira la clémence de Dieu et sa louange au ciel. Ce qui est en cause, ce n'est pas seulement le rapport des hommes à l'argent, mais le rapport des gens entre eux en raison de l'argent.

Luc semble dire que nous vivons dans un monde où l'argent est trompeur et sert, trop souvent, à tromper. Par son mauvais emploi, les uns sont criblés de dettes ou grevés d'hypothèques, tandis que d'autres accumulent les richesses et les dilapident. Dans ce monde, trop souvent, l'argent et la férocité vont de paire : débiteurs contre créditeurs, créanciers contre banqueroutiers. Ainsi se tissent des relations d'inimitié dans un monde de requins. Jésus nous dit : soyez aussi habiles dans ce monde que ceux qui visent à tromper avec l'argent en cherchant le maximum de profit, habiles pour faire de l'argent une source d'amour. Soyez aussi rusés que les fils de ce monde, ceux-là sont astucieux pour se tirer d'affaire quand les choses tournent mal. Vous, trompez l'argent trompeur, c'est-à-dire : Exercez votre habilité à construire avec l'argent un monde qui favorise la responsabilité, l'échange et la solidarité, qui évite l'endettement, développe la paix et l'harmonie, édifie la solidarité. Construisez avec l'argent trompeur, le trésor de l'affection et de la gratitude mutuelle. Ce trésor restera votre bénéfice pour toujours, votre meilleure garantie auprès de Dieu.

Bien sûr l'argent règne en maître. Il a ses royaumes et ses coffres-forts, de la Suisse aux Bahamas. Il a ses autels et ses victimes, de Harlem à Calcutta, du Soudan aux Philippines. Il a ses prêtres ou ses bourreaux qui achètent et vendent : armes, drogues, travailleurs, sportifs et même des enfants. Il a ses méthodes, de la fraude à la magouille et au meurtre. Mais à l'encontre de cette logique d'enfer, à nous de la renverser et de nous dire : l'argent que je gagne est une reconnaissance de mon travail et de mes services. L'argent que je dépense doit être un exercice de ma liberté éclairée et de ma responsabilité solidaire. L'argent que je reçois est une confiance que l'on me fait. L'argent que je partage est une relation que je crée. Savoir choisir entre Dieu et l'argent, c'est mettre l'argent au service de l'homme. Et si d'aventure, semble dire St. Luc, vous n'avez pas d'argent à partager parce qu'il vous est chichement compté, il vous reste une grande chose à partager, c'est votre pardon. Vous remettre mutuellement vos offenses rétablit la concorde, et par là, crée des liens. L'important, ce n'est pas la question de l'argent en soi. L'important, c'est la relation que l'argent peut créer ou briser. Le pardon peut, lui, toujours recréer.