24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Collin Dominique
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Quand des amis veulent se retrouver ensemble pour fêter un événement ou tout simplement pour échanger, un repas partagé est souvent la manière la plus conviviale de le faire. Partager un repas ensemble est le signe d'un partage plus profond encore : celui des c½urs et des esprits. Surtout si on reçoit dans sa propre maison : la joie de recevoir est comme redoublée par la préparation du repas : le c½ur se prépare en même temps qu'il dispose toutes choses afin de recevoir l'hôte le mieux possible. Depuis toujours, le repas partagé est comme la marque la plus significative de l'humanité : les êtres humains partagent entre eux des repas, non pas pour combler d'abord un besoin naturel élémentaire - celui de manger pour vivre -, mais pour célébrer la fraternité, l'amour et l'amitié. Bien sûr, aujourd'hui, on peut manger seul dans un restaurant et même à la va vite dans des fast-food, mais il n'en était pas ainsi avant : partager un repas avec ses hôtes prenait du temps, le temps de recevoir l'autre. Belle expression de la langue française : " recevoir ses invités ". Laisser entrer quelqu'un chez soi, l'accueillir dans sa maison, c'est refuser de voir en lui un ennemi, mais au moins potentiellement un ami, un frère, un homme digne de confiance, digne d'être reçu. Laisser entrer quelqu'un dans ma maison et l'asseoir à ma propre table, c'est l'accueillir dans mon c½ur, lui faire une place parmi les êtres qui me sont chers.

Quand Dieu veut nous dire dans la Bible qu'il nous considère avec tendresse, comme ses propres amis, il utilise la même image du repas, car elle est compréhensible à tout être humain. Dans l'ancien comme dans le nouveau testament, dire que Dieu nous aime est parfaitement synonyme de " Dieu nous invite dans sa demeure, à sa propre table ". Ainsi le prophète Isaïe peut s'écrier : " Le Seigneur Dieu prépare pour tous les peuples, sur cette montagne, un festin de viandes grasses, un festin de bons vins, de viandes moelleuses, de vins dépouillés ". Ou encore dans l'Apocalypse, un des plus beaux appels de Dieu à l'homme : " Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ".

Mais le plus beau est paradoxalement dit par les pharisiens et les scribes dans l'évangile que nous venons d'entendre : " Cet homme - Jésus - fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux ! " Pour un pharisien, cette attitude d'accueil est inadmissible : Jésus s'assied à la même table que les pécheurs et mange avec eux. Les pécheurs, ce ne sont pas les " petits " pécheurs que nous sommes la plupart du temps, mais les catégories sociales exclues par les notables juifs, les prêtres et les pharisiens : les pécheurs publics, les publicains, c'est-à-dire les collecteurs d'impôts et toute la masse des infirmes dont on pensait que leur maladie s'expliquait par leurs péchés. Jésus, lui, refuse d'entrer dans cette ségrégation sociale et religieuse au nom de Dieu.

Car, comme Dieu son Père, il ne fait aucune acception de personnes : chacun est invité à sa table pour partager le repas de la communion et de l'amitié. Aucun laissez-passer n'est exigé, le smoking n'est pas obligatoire : il suffit seulement d'entendre l'invitation et d'y répondre. Encore une fois, nous nous mettons facilement du côté des pharisiens : nous aimerions tant que Dieu choisisse mieux ses amis et ses invités ! Il pourrait quand même faire un peu le tri et n'accepter que des gens biens comme moi, comme nous. Mais Dieu sait bien qu'à ce compte-la, même moi je ne serais peut-être pas retenu dans la bonne liste. Où commencent dans notre monde d'aujourd'hui le refus d'aimer en vérité, le refus de pardonner, où commencent la violence et le ressentiment, la jalousie et la colère, si ce n'est - bien souvent - dans mon propre c½ur ? Mais cela n'a pas d'importance au regard de l'invitation que Dieu adresse à chacun de nous : elle n'exige rien, sinon une réponse libre et la joie de se savoir aimé sans condition. Aujourd'hui, la joie de Dieu cherche à être contagieuse : ne l'enfermons pas dans nos catégories de morale ou de justice qui reflètent trop souvent nos envies égoïstes de pouvoir et de gloire. Accueillons dans un c½ur et un esprit renouvelés la folie de l'amour de Dieu.

Réjouissons-nous avec Dieu puisqu'il part sans cesse à notre recherche et trouve davantage sa joie avec les pécheurs qu'avec les bien portants et les bien pensants.