Certains historiens prétendent qu'au moins deux ordres religieux ont été créés pour combattre certaines hérésies. En fait, il s'agit d'un ordre et d'une société. Ou pour être encore plus précis, ces spécialistes parlent de l'Ordre des Prêcheurs et de la Société de Jésus. D'après ces intellectuels, les frères dominicains auraient été fondés pour combattre l'hérésie cathare sévissant au sud de la France au début du XIIe siècle tandis que les jésuites auraient été fondés pour combattre l'hérésie protestante au XVIe siècle. Si l'hypothèse de la fondation est correcte, la question qui peut nous venir à l'esprit est la suivante : quel est le plus grand ordre ? Quel est celui qui a réussi sa mission confiée par notre sainte mère l'Eglise ? En tant que dominicain, il me revient de vous poser cette question : honnêtement, dans votre vie, avez-vous déjà rencontré beaucoup de cathares ? Cette hérésie a-t-elle encore cours aujourd'hui ou bien les frères prêcheurs ont-ils réussi leur mission ?
Pour ce qui est de l'autre hérésie, celle du XVIe siècle, connaissez-vous des protestants ? Fort de ce constat face à cette réalité criante, nous devons reconnaître que nous, les dominicains, sommes et resterons pour de longs siècles encore les meilleurs. Même si ½cuméniquement cette blague est de mauvais goût et inacceptable d'un point de vue théologique, elle explique les raisons pour lesquelles nous sommes si fiers de notre appartenance. Certains se diront : mais quelle prétention ! Quel manque d'humilité. En bref, quelle absence totale de savoir-vivre. Erreur, je crois.
L'humilité n'est pas un savoir-vivre, cette qualité est plutôt un art de vivre. Arrêtons-nous alors quelques instants sur cette notion puisque les textes de ce jour nous y invitent. D'un point de vue littéraire, selon le dictionnaire, l'humilité signifie l'état d'infériorité. Par contre d'un point de vue religieux, il s'agit plutôt d'une vertu. La racine de ce mot viendrait " humus " qui évoque la terre de laquelle nous sommes issus. Comme s'il y avait quelque chose de très " terre à terre " lorsque nous abordons la vertu d'humilité. Il ne s'agit donc pas de grands discours philosophiques, d'idéologies bien construites, l'humilité est un art de vivre qui s'inscrit dans un chemin de vérité par rapport à soi. En d'autres termes, l'humilité convie à la lucidité d'abord sur soi puis sur les autres.
Nous sommes invités à être lucides sur le tout que nous formons c'est-à-dire avec nos fragilités et nos forces, nos zones de lumière et d'ombre sans jamais oublier que l'ombre ne peut pas exister sans lumière alors que l'inverse n'est pas vrai. La lumière se passe volontiers de l'ombre. Nos grandeurs et nos faiblesses nous construisent et nous façonnent. Elles disent le tout que je suis. Un tout que la vie m'apprend à apprivoiser au fil des années. Petit à petit, j'accepte cette inconnaissance, cette partie immaîtrisable de mon être. Je vis avec celle-ci et je m'en réjouis. Il fait de moi la personne que je suis. Cette clairvoyance me permet alors de m'apprécier, de me connaître dans les limites de ma propre réalité. Ayant fait ce chemin d'intériorité, mon regard porté sur les autres se modifie. Je ne les juge plus et j'apprends à les comprendre et les apprécier dans le tout de leur personnalité, vivant cette fois avec l'intime conviction que par delà leur propre ombre, il y a également une lumière à recevoir.
Tout être humain de par le simple fait de son humanité a toujours quelque chose à offrir à l'autre. L'humilité nous permet ainsi de porter un regard bienveillant à son égard. En fait, elle nous dégage de nous-mêmes pour mieux partir à la rencontre de l'autre. Elle nous fait prendre conscience de certains de nos manques que nous cherchons à assouvir dans la relation avec autrui, toujours différent de moi. Mieux encore, ayant conscience de mes limites et de mes richesses, je suis constamment invité à ne pas m'imposer, à ne pas entrer dans une spirale d'écrasement de l'autre car la relation véritable existe lorsque je suis là pour aider l'autre à s'élever vers lui-même, vers elle-même. L'humilité est donc bien un art de vivre, voire une passion de vie. Alors si nous souhaitons devenir des artistes de la vie, il nous suffit de traverser cette dernière en étant humbles. Tel est le chemin proposé par l'évangile. Dans la foi, vivons de cet art qui donne à l'autre tout l'espace pour exister. Amen.