Quelle étonnante remarque ! Jésus est en Galilée et il ne veut pas qu’on le sache. Mais alors pourquoi est-il donc venu sur terre, si c’est pour rester caché ? Et d’ailleurs sa venue sur terre aurait pu être un peu plus médiatique. Quelle idée de naître à Bethléem, de grandir à Nazareth et de rester trente ans chez ses parents ! Jésus fait tout à l’envers. Au lieu de se montrer au grand public et de profiter de la publicité produite par quelques beaux miracles spectaculaires, il préfère rester caché. C’est que Jésus a tout d’abord peur d’une mauvaise publicité, d’une publicité trompeuse. Il n’est pas venu pour guérir tous les malades de son village, ni pour soigner notre dépression ou combler notre solitude. Le christianisme n’est pas une assurance pour le bonheur ou pour le confort. Regardez Jésus et les apôtres : leur vie n’a pas été une sinécure. Tous, ils ont connu la trahison, l’abandon, la solitude, le supplice et la mort. La vie de Jésus comme celle des apôtres n’apparaissent pas vraiment comme un modèle à imiter ou un idéal à suivre. Et le symbole du christianisme nous le rappelle. Ce n’est pas un fauteuil confortable dans un salon luxueusement aménagé. C’est la croix, qui symbolise le christianisme, un instrument de supplice réservé aux esclaves révoltés ou aux dangereux gladiateurs. Vous vous souvenez que les Romains ont crucifié Spartacus et ses compagnons sur la route entre Rome et Naples. Non, le christianisme n’est pas une assurance pour le confort. Il est un appel à se transformer et à transformer les autres.
Jésus le rappelle en prenant l’exemple d’un enfant. « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille ». Il n’était pas bon d’être un enfant dans l’Antiquité. Saint Augustin, à la fin de sa vie, a écrit qu’il ne voudrait plus jamais revivre ses années d’enfance tellement il avait été maltraité, même par sa mère, saint Véronique. Le mot éducation en grec est d’ailleurs révélateur de ce climat de violence. Le mot paideia en grec, qui a donné pédagogie en français, ce mot signifie aussi bien éducation que punition et châtiment. Les enfants n’avaient aucun droit dans l’Antiquité. Sous la République romaine, le pater familias avait droit de vie et de mort sur ses propres enfants. Quand Jésus prend un enfant sur ses genoux, il nous invite à accueillir les hommes et les femmes qui ont tout perdu, qui n’ont plus aucun droit, aucune protection. Ce sont des gens qui sont livrés à la merci de l’administration ou de requins qui profitent de leur détresse pour les réduire en esclavage. C’est là le génie d’une femme comme Mère Teresa. Elle s’est occupée d’hommes et de femmes qui agonisaient, seuls, dans les rues de Bombay. Ils étaient réduits à l’état d’objets malsains et répugnants. Et c’est là sans doute le défi que nous lance Jésus-Christ aujourd’hui : accueillir celui ou celle qui ne nous intéresse pas, lui rendre sa dignité d’enfant de Dieu, lui permettre de sourire avec les yeux. C’est tellement beau quand une lumière intérieure éclaire le visage d’un homme abandonné, d’une femme désespérée. Prenons donc aujourd’hui, en quittant l’église, le risque de saluer quelqu’un que nous ne connaissons pas et de lui souhaiter tout simplement un bon dimanche. Ce sera peut-être pour lui ou pour elle la seule fois que quelqu’un lui parlera aujourd’hui.