Cela fait trois semaines, trois semaines, me dit-il avec toujours cette rage dans la voix qu'il n'arrivait pas à contrôler. Trois semaines qu'il m'a dit cela et je n'arrive pas à l'oublier, à lui pardonner de telles paroles. Ce n'est pas tant ce qu'il m'a dit qui me rend fou, poursuivait-il, mais le fait que ce soit lui qui se soit permis de me le dire. Quelqu'un de plus proche m'aurait affirmé la même chose, cela ne m'aurait pas dérangé, je l'aurais même facilement accepté mais que ça vienne de lui : là, je dis non. Ces quelques phrases glanées au hasard d'une conversation n'ont rien d'exceptionnel et je suis convaincu que toutes et tous, nous nous sommes déjà trouvés dans une telle situation soit pour l'avoir entendue, soit pour l'avoir vécue personnellement. Et la morale d'une telle histoire pourrait se résumer par les mots suivants : « les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne ». C'est si vrai dans la vie, cette maxime : « les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne ». Je crois que dans la vie, nous sommes souvent confrontés à des problèmes d'autorité. Et la liturgie d'aujourd'hui en sa première lecture et son évangile, nous font redécouvrir, par la manière dont les disciples de Moïse et de Jésus réagissent, deux types d'autorité auxquels nous sommes quotidiennement confrontés : il s'agit de l'autorité de compétence et de l'autorité relationnelle. Il y en a sans doute d'autres, mais les textes du jour nous convient à nous pencher sur ces deux-là.
Prenons d'abord la dynamique de l'autorité relationnelle. Certaines personnes, au cours de ma propre existence, me feront des remarques et j'en tiendrai compte pour avancer sur le chemin de la vie. Je leur donne du pouvoir sur moi et je leur reconnais une compétence humaine. L'amitié et l'amour sont deux lieux où l'interpellation peut se vivre en douceur et en tendresse. Mais, c'est moi et moi seul qui autorise l'autre à prendre cette place dans mon existence. D'autres personnes pourront me faire, à la limite les mêmes remarques et ces dernières couleront sur la carapace de mon être n'ayant que faire de leur avis. Soit je ne vis pas une relation de proximité avec elles pour le moment, soit je n'ai pas de sympathie à leur égard. Dès lors, je ne leur donne aucune autorité. Il en va de même pour les lettres anonymes. J'en fais toujours un classement vertical, mais n'ayant cette fois que mépris profond pour ces gens qui n'ont pas le courage de leurs opinions. En fonction des personnes et des situations, je réagis donc émotionnellement différemment aux remarques reçues. Si donc une remarque m'affecte positivement ou négativement, c'est que j'accorde un certain pouvoir, une certaine autorité à la personne qui s'adresse à moi. J'ai alors à me poser la question, si énervement il y a, de la raison pour laquelle je donne tant de pouvoir à quelqu'un pour que ce dernier puisse arriver à me déstabiliser au point de ressentir une certaine colère monter en moi chaque fois que je pense aux mots échangés. Cette influence que je considère de manière négative me fait perdre un peu de ma liberté, de mon autonomie puisque l'autre occupe une grand part de ma pensée, de mes émotions. J'ai alors à reconnaître que par delà la pertinence vraisemblable des propos échangés, je ne suis pas émotionnellement aussi neutre que je ne le voudrais vis-à-vis de la personne et j'ai alors à faire le chemin intérieur pour me resituer par rapport à mon interlocuteur et comprendre les émotions qui me traversent. Ayant fait ce travail, je peux recouvrer ma liberté et décider de la suite que je donnerai aux propos échangés.
Si c'est vrai pour les émotions, il en va de même pour l'autorité de compétence puisque toutes deux trouvent leur siège au coeur de l'intelligence humaine. A certaines personnes nous reconnaissons aussi une autorité de compétences basées soit sur des connaissances scientifiques, soit sur des connaissances acquises par l'expérience de la vie. Pour cette autorité-ci, c'est à nouveau à nous à décider de la reconnaître même si nous sommes portés par l'ensemble de la société dans laquelle nous vivons. J'accepte ou je refuse la parole, le discours de certaines personnes, à l'instar des disciples de Moïse.
Alors que nous soyons dans le champ de l'autorité émotionnelle ou de compétence, nous devons admettre que même si nous ne saisissons pas tout, que cela va parfois au-delà de notre entendement, nous pouvons nous rappeler ces paroles du Christ et les faire nôtres : « celui qui n'est pas contre nous est pour nous ». De toute façon, les gens n'ont que le pouvoir qu'on leur donne.
Amen.