26e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Delavie Bruno
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 1996-1997

Mc 9, 38-48

Jean, un des douze apôtres, n'en revenait pas ! Il avait vu quelqu'un qui chassait les démons et les esprits mauvais, sans être mandaté par Jésus. Un concurrent, somme toute ! Et Jean le dénonçait et réclamait des sanctions. Car seuls les douze avaient reçu ce pouvoir de Jésus, lorsque celui-ci les avait envoyés deux par deux au devant de lui, dans les bourgades où lui-même devait ensuite aller. Voyez-vous, dans l'église à peine naissante, - dans ce petit noyau que le Christ a réuni autour de lui, - il y a déjà la tentation du pouvoir, réservé à un groupe d'élite. Clan des purs et des durs, qui sont convaincus d'être du bon côté, d'être propriétaires de l'esprit même de Dieu

Notez que ce n'est pas nouveau. C'est même une vieille histoire, puisque c'était déjà le cas au temps de Moïse. L'événement nous est raconté dans la première lecture. Moïse a convoqué 72 anciens sur la montagne, des hommes sages parmi le peuple, pour qu'ils reçoivent l'Esprit de Dieu, en même temps que lui. Or, deux d'entr'eux ne sont pas au rendez-vous. Ils sont restés dans le camp. Et voici que ces deux là se mettent à prophétiser eux aussi, autant que les 70 autres. Josué, un peu jaloux, s'en inquiète et vient réclamer près de Moïse. Alors celui-ci a une parole merveilleuse : "M si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux pour faire de tout son peuple, un peuple de prophètes ! "

Ce souhait de Moïse est toujours d'actualité. Plaise à Dieu qu'il répande encore sur nous son Esprit pour faire de nous tous un peuple de prophètes. Mais comment être prophète aujourd'hui ?

L'Esprit de Dieu est répandu dans l'univers. Il agit à travers le monde. Il inspire tous les hommes au coeur droit et sincère. N'est-il pas vrai que beaucoup de non-chrétiens peuvent découvrir Dieu présent, dans la beauté de la nature, dans l'immensité des univers astraux et la grandeur des espaces et des galaxies, aussi bien que dans la complexité des organismes infiniment petits, observables seulement au microscope ? Beaucoup d'hommes de part le monde reconnaissent le Dieu créateur et l'honorent, selon la fidélité à leur propre conscience, ou selon leurs propres religions, dans le contexte de leur propre culture. Grâce aux communications modernes, et aujourd'hui par Internet, nous savons que les chrétiens ne sont pas majoritaires dans la population de l'univers, même si beaucoup d'être humains participent à la culture occidentale, issue du christianisme. Il y a des milliards d'hommes et de femmes, en Asie,(particulièrement en Chine,) en Afrique, en Amérique qui sont croyants dans leur propre religion et qui reconnaissent Dieu à leur manière. Qui sommes-nous donc, nous les chrétiens, pour être aujourd'hui jaloux et ne pas reconnaître que tous ceux-là possèdent également l'Esprit de Dieu ? Ce dernier ne supporte pas qu'on veuille le contenir dans nos petites limites. Cela ne veut pas dire que toutes les religions se valent et qu'il n'est pas important pour notre identité chrétienne de penser que nous sommes dans la vérité. Mais cela n'entraîne pas nécessairement que nous soyons les seuls à la posséder. On ne possède pas Dieu et pour l'approcher, nous avons besoin de la vérité des autres. Il y a certes des vérités objectives, mais qui nous dépassent tous et auxquelles on ne peut accéder que dans un long cheminement, en glanant dans les autres cultures, dans les autres types d'humanité, ce que les autres ont aussi acquis, ont cherché dans leur propre cheminement vers la vérité.

Remarquez que même Jean-Paul II, qui pourtant dans ses encycliques affirme que le magistère de l'Eglise est dans la vérité, mise cependant sur le rapprochement entre les -même qui religions, face aux défis du monde moderne. C'est lui qui voici quelques années, a convoqué à Assise une réunion de prières des représentants des grandes religions. Malgré tout cela, la tentation d'exclure ceux qui ne sont pas de notre bord est toujours là bien ancrée dans nos coeurs. Nous n'acceptons pas facilement que d'autres agissent pour Dieu, en dehors des normes imposées et des limites tracées. Nous n'admettons pas facilement les croyants qui ne sont pas en règle avec nos lois. "Ne les empêchez pas. " a répondu Jésus. Car s'ils libèrent leurs frères, s'ils les remettent debout, s'ils font entendre la voix de l'amour, loin de l'intolérance, l'Evangile est en marche. Comment pourrait-on croire qu'ils le font contre moi ?

Oui, ce que Jésus demande à ses disciples, aujourd'hui comme hier, c'est d'être tolérants, vis à vis des autres. C'est d'accepter que le bien se fasse autrement et par d'autres chemins que ceux que nous avons prévus. Ce que Jésus ne supporte pas c'est l'intolérance, parce qu'elle découle directement de l'orgueil de se croire meilleur que les autres, ou supérieur à eux. Parce qu'elle est une autodéfense, afin de garder ses privilèges ou ses pouvoirs. Or, dans notre monde actuel, il semble que l'intolérance face sans cesse des progrès. L'intolérance politique tout d'abord, quand on voit se développer, un peu partout, des tendances d'extrême-droite, on serait en droit d'être inquiet !. Si ces partis rassemblent des gens déçus par les magouilles ou les situations économiques désastreuses, il faut cependant se méfier des idées qu'ils propagent, des projets d'exclusion et de mise en ordre par la force qu'ils diffusent. Mais il y a aussi l'intolérance religieuse qui gagne partout du terrain. Nous assistons à un regain d'intolérance et de fanatisme. Il n'y a pas seulement que l'intégrisme musulman, qui fait parler de lui d'une façon tragique, comme ce fut le cas ces d dernière semaines en Algérie. Mais il y a aussi un intégrisme juif et des nombreux mouvements intégristes au sein même de toutes les confessions chrétiennes.

Je voudrais conclure en citant un petit texte de notre frère Pierre Claverie, l'évêque d'Oran, assassiné il y a à peine un an : "On parle de tolérance. Je trouve que c'est un minimum. Mais je n'aime pas trop ce mot, parce que la tolérance suppose qu'il y ait un vainqueur et un vaincu, un dominant et un dominé, et que celui qui détient le pouvoir tolère que les autres existent. On peut évidemment donner un autre sens à ce mot, mais j'ai trop l'expérience de ce qu'il signifie dans la société musulmane dans son acceptation condescendante pour l'accepter vraiment. Bien sûr, il vaut mieux que le rejet, l'exclusion, la violence. Mais je préfère parler du respect d e l'autre. Si seulement, dans la crise algérienne, on arrivait à concevoir que l'autre a le droit d'exister, qu'il porte une vérité et qu'il est respectable, alors les dangers auxquels nous sommes exposés maintenant n'auraient pas été courus en vain. "