26e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012


Permettez-moi de commencer par une petite histoire,
que racontaient déjà ceux qu'on appelle les pères du désert,
les premiers ermites de l'ère chrétienne. 

C'est l'histoire de deux moines qui, se rendant à un monastère voisin, arrivent au bord d'une rivière en crue. Et sur la berge, une jeune femme hésitante s'adresse au plus jeune des deux moines et lui demande de l'aide pour traverser la rivière. Ce dernier s'écrie: « Ne voyez vous pas que je suis moine et que j'ai fait v½u de chasteté. Désolé, je ne peux pas vous prendre dans mes bras et vous porter. » Peu importe, rétorque le moine plus âgé : « Montez sur mon dos et nous traverserons ensemble. » Il s'exécute et de l'autre coté de la rivière,
le sage moine dépose la jeune femme, qui le remercie d'un large sourire.
Leurs routes se séparent et les deux moines poursuivent ensemble leur chemin en silence. A l'approche du monastère, le jeune moine --toujours tracassé par cette aventure-- dit au moine plus âgé :«Tu n'aurais pas du prendre cette femme sur ton dos, cela va à l'encontre de toutes nos règles. »  Et le vieux moine lui répond: « Pourquoi me dis-tu cela ? Elle avait simplement besoin d'aide et je l'ai déposée sur l'autre rive. Moi, cela fait longtemps que je ne la porte plus. 
Toi, par contre, tu ne l'as pas portée, mais elle t'encombre toujours l'esprit »

Vous connaissez peut-être cette vieille histoire. Elle nous invite, comme l'évangile de ce jour, à nous désencombrer.
En effet, qui d'entre nous n'a pas des projets, des idéaux, des activités, des personnes toxiques qui lui encombrent l'esprit et dont il faut se défaire pour aller à l'essentiel.

L'évangile que nous venons d'entendre est particulièrement énigmatique, mais il ne doit pas être pris dans un simple sens moralisateur car il nous invite au bonheur, tout simplement. Cependant, pour y arriver, il nous pose cette question existentielle et si difficile: «Quels sont les deuils que tu n'as pas encore faits?»
En d'autres termes :
«Que faut-il tailler dans ta vie pour qu'elle y gagne en fécondité ? »
«Que dois-tu arracher dans ta vie, non par renoncement ou par fausse morale,
mais par désir de vie ! »

Si ta main -- c'est à dire ta manière d'agir--,
Si ton pied -- ces lieux qui t'attirent--,
Si ton ½il  --tes envies, tes projets--
risquent de t'entraîner loin de la vie, à la périphérie de ton être,
alors ne joue pas avec le feu, ne te fie pas à ta force.

De quoi devons-nous nous séparer ? A chacun d'y répondre.
Peut-être de ces yeux dont le regard ne conduit pas à la relation,
mais à la suspicion?
Peut-être de ces pieds, de ces portes que nous voulons ouvrir,
mais qui ne nous font pas avancer?
Peut-être même de ces rêves, qui nous tirent vers le bas
alors que nous croyions qu'ils nous poussent en avant ? 

Oui, quels sont donc les deuils féconds qui nous restent à faire ;
les deuils de tout ce qui nous empêche de nous réaliser, de grandir, de créer.
Que faut-il émonder dans notre vie ?

Vous le savez, dans notre culture qui a si peur de la mort, nous sommes plutôt habitués à garder, conserver, amasser, collectionner qu'à mettre de côté et faire des deuils. Bien plus, c'est  l'inutile est mis de côté !
Or cet évangile ne nous invite pas à retirer l'inutile et l'improductif. Il ne dit pas : 'si ta main ne sert à rien coupe là', mais si ta main 'est une occasion de chute'.

Le texte parle de scandale.
Pas le scandale qui choque, comme dans la presse, (clin d'½il à la journée des médias catholiques)  
Mais le scandale comme occasion de chute.
Celui qui amène une personne à verser
dans la suspicion plutôt que la confiance,
dans la peur plutôt que dans l'espérance,
dans le devoir, plutôt dans le don.

Ce à quoi nous sommes convoqués, c'est à la vie, la vie en abondance, la vie sans déclin; et chaque deuil peut nous aider à faire grandir cette vie en plénitude.

La taille prépare les fruits. C'est comme cela que nous pouvons devenir
des créateurs d'humanité. Les créateurs d'humanité sont ces hommes et ces femmes qui ont apprivoisé le manque, en se séparant de ce qui en eux les empêche d'avancer et qui, au même moment, bâtissent des relations fécondes, plus pleines de vies, dans l'espace ainsi laissé !
Oui, grandir en humanité, implique de faire certains « deuils féconds », de prononcer des «nons» que nous devons  avoir l'audace d'affirmer pour nous-mêmes, afin que nos «ouis» gagnent de l'épaisseur. Et l'évangile utilise un symbole très fort pour ce double mouvement.

Celui du sel. Le sel, vous le savez, permet de conserver. Mais le sel est ce qui ronge et attaque. Se séparer de ce qui nous entraîne vers le bas, c'est aussi et surtout conserver l'essentiel, ce qui nous tire vers le haut.

Conserver l'essentiel : car nous sommes avant tout des hommes et des femmes d'éternité ayant une autre finalité que nous-mêmes, une destinée infinie, inscrite dans la simplicité de Dieu. 

Peut-être que la vraie mutilation de l'humanité,
consiste à lui enlever cette destinée infinie. Amen.